
Duo emblématique de la bande dessinée, Christin et Bilal nous proposent depuis leur première collaboration (La croisières des oubliés), une œuvre riche et foisonnante, qui a fortement contribué à rendre la bande dessinée plus « mature », attirant, de part ses thèmes, un lectorat peu habitué aux petits mickeys.
Le vaisseau de pierre, leur deuxième album, possède déjà toutes les caractéristiques de leur œuvre commune. Un récit de science fiction inscrit dans une réalité historique et sociale. Entre légende celtique, conte écologique et réalité économique, Le vaisseau de pierre est un cri de révolte contre la modernité galopante qui fait table rase des cultures ancestrales.
Des promoteurs immobiliers peu scrupuleux décident de transformer une région séculaire en un complexe hôtelier. Pour ce faire, ils doivent déloger la population d’un village portuaire breton et démonter pierre par pierre le château millénaire qui surplombe la région. Mais c’est sans compter sur la résistance des habitants (le vieux Joseph en particulier) soutenus par l’ankou, le sorcier vivant au château…
Comme toujours chez Christin, passé, présent et futur sont intimement liés. Les faits présents s’inscrivent dans la continuité de ceux passés, qui auront des répercussions sur l’avenir… Le vaisseau de pierre est un manifeste sur les origines, la mémoire, la transmission… Eternels recommencements de la civilisation…

Questionnement philosophique sur la lutte des plus faibles pour leur survie, les guerres de territoire, les conflits d’intérêts… Bien que la dimension politique soit sous jacente (au profit du fantastique), elle annonce le diptyque Les phalanges de l’ordre noir/Partie de chasse à venir…
Le graphisme du jeune Bilal est chargé, accumulant les modelés hachurés. Un procédé qu’il maitrise parfaitement (et abandonnera au fil du temps pour un style plus épuré). Ses couleurs sont glauques, le contraste ocre-orangé et bleu-gris verdâtre domine. Ce qui apporte une teneur minérale à l’ensemble, qui sied parfaitement à l’histoire. Ces personnages sont aussi durs que la roche bretonne.
Au fil du temps, Bilal s’est détaché des codes « bd » (découpage linéaire de l’action, très « cinématographique », son autre domaine de prédilection) pour développer un vocabulaire narratif plus personnel, entre séquences et illustrations. A l’instar d’un Masse, un Rochette ou un Barbier, Bilal est un plasticien exigent, qui aborde chaque case comme un tableau se suffisant à lui même, certes inscrit dans une continuité, mais possédant son propre équilibre de composition.
Cette œuvre de jeunesse possède la maturité suffisante pour conserver sa puissance évocatrice. Ce deuxième essai demeure un coup de maitre, tant il ne donne pas l’impression d’être le fruit de son époque, mais au contraire, une œuvre intemporelle.

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