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Topor et le cinéma – Daniel Laforest (Nouvelles éditions Place, 2020)

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Les Nouvelles Editions Place ont lancé une remarquable « Collection des poètes », qui propose des éclairages sur les rapports qu’entretiennent des artistes iconoclastes (Duchamp, Breton, Picabia, Prévert, Pérec, Queneau…) avec le cinéma. Heureuse initiative que d’avoir mis Roland Topor au casting de cette collection. Daniel Laforest nous présente un ouvrage passionnant, dressant ainsi un panorama complet de toutes les contributions de Roland au 7ème Art.

Prenant la forme d’une monographie, cet opus décortique les rapports ambigus et pourtant passionnés qu’entretenait Roland avec le monde du cinéma. Des relations placées sous le signe de l’attraction-rejet. Car Roland, maitre incontesté de l’image fixe, creusant sans relâche les potentialités infinies du dessin, se méfiait grandement des images en mouvement. Ce n’est pas anodin d’ailleurs de constater que ses premières contributions cinématographiques sont des apparitions de ses dessins (donc des images fixes) dans la séquence de la lanterne magique du Casanova de Fellini ou aux génériques de Qui Etes-vous Poly Maggoo de William Klein et Viva la Muerte d’Arrabal. Survolant ses compositions, seule la caméra est en mouvement.

Ses collaborations avec René Lalloux démontrent une défiance pour l’animation classique, au profit d’un travail sur le mouvement plus « primitif », générant une impression de « dessins qui bougent ». Ce qui sera la marque de fabrique des films d’animation de Roland.

Sa contribution au cinéma l’est aussi par l’écriture. De l’adaptation de son premier roman par Polanski à la participation à la co-scénarisation des films de Lalloux. Sans oublier ses collaborations télévisuelles avec ses amis Ribes, Gébé et Gourio pour Merci Bernard et Palace.

Daniel Laforest aborde également le rapport particulier qu’entretenait Roland avec la pantomime et les marionnettes (de Téléchat à Marquis), qui lui permettent de bousculer une fois encore cette représentation du mouvement cinématographique classique. Même lorsqu’il fait l’acteur (pour le Nosferatu d’Herzog par exemple), ses personnages sont excessivement expressif, outrancier, exagérant les mouvements et attitudes jusqu’à l’absurde.

Présentation de l’éditeur : « Roland Topor a été dessinateur, écrivain, plasticien, illustrateur, peintre, chroniqueur satiriste, décorateur scénique, marionnettiste, scénariste télévisuel. Or, lui qui se moquait des clivages artistiques a entretenu une méfiance singulière vis-à-vis du cinéma. Mais comme le génie du dilettantisme tient dans la contradiction, la méfiance ne l’a pas empêché de déployer une vaste activité en lien avec le monde cinématographique. D’abord à travers des commandes publicitaires, puis des projets d’animation, enfin l’adaptation par Roman Polanski de son premier roman. En parallèle sont apparues des co-scénarisations, quelques seconds rôles et une pléthore de figurations. Activités auxquelles la coréalisation en 1989 d’un film remarqué,  quoique encore mal compris, a apporté le point d’orgue. La rencontre de Topor et de l’art cinématographique évoque celle de l’enfance et du jouet. Celui-ci instille en effet dans le cinéma un poison qui le secoue, un certain ébahissement de l’enfance qui a autant partie liée avec le rire aux éclats qu’avec les terreurs nocturnes. »

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(collage et gouaches sur billot de bois, par Mr Rêve)

Derrière ce jeu de mot un peu foireux – car on aura jamais assez de Topor-, l’intention de cette page est de partager mes impressions et réflexions sur l’univers de Roland (permettez que je l’appelle par son prénom). Je m’y intéresse depuis plus de 15 ans et je n’en perçois toujours pas les contours (est-ce possible ?). C’est aussi ce que j’aime, en découvrir « ad vitam ». Car il serait prétentieux de prétendre tout connaitre de son œuvre (avec un grand o).

Ce que l’on ne peut pas m’enlever, c’est l’intimité que je développe avec lui. Oh, je ne l’ai jamais rencontré ni aucuns de ses proches. Pourtant, il me semble le connaitre un peu plus chaque fois que je découvre ses romans, ses nouvelles, ses illustrations, ses peintures, ses dessins de presse, ses dessins, ses films d’animations, ses pièces de théâtre, ses chansons, ses affiches, ses rôles, ses adaptations… Je ne m’en lasse pas. Mais plus j’en découvre, plus la compréhension de ses intentions et leitmotivs s’éloignent. Plus j’essaie de cerner l’artiste (avec un grand a) et plus je m’égare…

Ce que j’ai compris au fil du temps, c’est que Roland est une bête humaine, qui agit selon son instinct, ses envies, ses non-envies, ses désirs, ses dégouts. Lui-même n’a jamais su (voulu ?) se définir et c’est en cela qu’il est grand. Au-delà de sa « poly-pratique » artistique reconnue, je suis sûr qu’il ne savait pas ce qu’il allait faire, ni de quelle manière, au moment de le faire. Même s’il répondait aux commandes, il n’a jamais eu de plan de carrière et se laissait guider par l’instant, plus que par l’instinct.

Roland est une bête de somme. Pour lui, rêver c’est travailler. Le rire physique de Roland est de notoriété. Il écrase tout. Faisant écho au vide intersidéral qui nous habite. Son humour est froid, brulant, distancié, touchant, décalé, très sensé… Suscitant des fous rires salvateurs et paniques. La panique justement, qu’ils ont transformée en manifeste, est le moteur de toute création. Ce qui nous pousse à trouver du sens là où il n’y en a pas. Et Roland l’a très bien compris. Il est sans aucun doute l’artiste le plus lucide sur cette question, considérant les Arts et la poésie comme seuls rempart à l’insupportable finalité de l’existence. Le rire et l’amour des plaisirs charnels comme seules résistances. C’est pourquoi il est essentiel.

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Burlesque

On emploi souvent le terme « surréaliste » pour qualifier l’univers de Roland Topor. C’est une erreur. Derrière un aspect surréel, Topor ne fait que se confronter -et nous confronter – à la réalité de la condition humaine… Burlesque conviendrait mieux. En littérature, le Burlesque se caractérise par l’emploi de termes comiques, familiers ou vulgaires pour traiter de sujets nobles et sérieux. Selon une définition plus moderne : « le burlesque est un comique physique, violent qui emploie notamment le coup, la chute, la tâche, la glissade, la collision… Des qualificatifs qui lui siéent parfaitement.

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Panique

On le sait, Roland et ses amis Arrabal et Jodorowsky ont créés le faux mouvement Panique (qui a failli s’appeler Burlesque !) en réaction à leur rencontre avec leur idole André Breton, devenu un odieux gardien du temple rétrograde et réactionnaire. Ce qu’il a fait de ce mouvement d’avant-garde, (dénigrant les arts populaires tels que la bande dessinée, la musique rock ou le cinéma de genre) ne leur a suscité que du mépris. «  Avec Arrabal, on n’aimait que des choses que les autres trouvaient sans intérêt, certains polars de Série Noire, par exemple. C’était assez honteux de dire qu’on aimait cela à l’époque. On aimait les machines à sous, le yé-yé. Arrabal adorait le yé-yé. […] J’aimais la chanson populaire. Panique, c’était en réaction contre le côté exaspérant du Surréalisme, des procès, de la légitimité de la parole. […] Le mouvement “Panique” n’avait aucune réalité. Mais ça paraissait bien d’en avoir une par rapport aux institutions, aux acheteurs. Un groupe, ça devient historique. Il est bon d’être historique et national. Alors on s’est dit, on va faire semblant » (source).

Traumatisé par l’occupation nazie et son exode en Savoie lorsqu’il était enfant (« je n’avais pas cinq ans que j’avais déjà toutes les polices de France à mes trousses »), Roland a conservé cette peur viscérale de la mort (« Je n’avais qu’un seul souci, celui de rester en vie »). Elle transparait en filigrane dans ces créations et motive cette fuite en avant dans l’hédonisme et l’épicurisme.

La panique chez Roland s’inscrit dans un double mouvement. Sur le principe des vases communicants, il exhale sa panique dans ses créations et génère en réaction ce même sentiment chez ses admirateurs. Car les peurs archaïques qui l’animent sont également les nôtres. C’est pourquoi il dérange autant qu’il fascine.

S’il l’est parfois avec ses personnages, Roland n’est pas un sadique avec son public. Ce n’est pas pour assouvir une intention perverse qu’il créé ses images dérangeantes, mais parce qu’il n’a pas d’autre échappatoire à ses angoisses. Il se moque de savoir comment seront reçues ses productions [même si, comme beaucoup, il cherche à être apprécié pour son Art] et respect le libre-arbitre de chacun. Et rien ne nous oblige à nous y confronter, si ce n’est l’ « attraction-rejet » qu’elles suscitent. Plonger dans son œuvre n’est pas sans conséquences. On sait ce qu’on y perd (des illusions, de la tranquillité…), surtout ce qu’on y gagne (de la lucidité, de la mise à distance, du rire…).

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Réalité

A la différence de son ami de collège Boris Cyrulnik, Roland n’est pas un thérapeute. Tous deux ont vécu les mêmes drames durant leur enfance mais ne l’ont pas encaissé de la même manière. Boris développe  le concept de Résilience, comme un pied de nez optimiste aux traumatismes de l’enfance. Roland lui, a passé sa vie à s’y confronter. Non par masochisme (bien que ce soit une thématique récurrente chez lui, voire le titre de son premier ouvrage), mais pour mieux les exorciser. Bien qu’il accorde une importance essentielle au rêve comme vivier inépuisable d’idées créatives, Roland s’intéresse peu à l’inconscient et toute la symbolique psychanalytique. Son champ d’action (de réaction plutôt) est le principe de Réalité.

Roland vit dans notre monde. Pourtant, il ne le perçoit pas comme nous. Il saisit des détails, des éléments pour nous insignifiants, qui en disent long sur la vacuité de nos existences. Il restera cet impitoyable révélateur de nos travers et veuleries, de l’absurdité de nos petites vies, centrée sur nos petites préoccupations matérielles.

A l’extrême opposé [qui ont cette fameuse tendance à s’attirer] de son camarade panique Alejandro Jodorowsky -qui face au principe de réalité pratique le « pas de côté », en explorant les territoires de l’ésotérisme, la science-fiction ou la psychomagie-  Topor lui, a un rapport frontal au réel, dans ce qu’il a de plus impitoyable, de plus violent. Ça se vérifie dans son œuvre picturale, plus encore dans ses écrits. Quand Jodorowsky contourne le mur de la réalité pour en cerner les limites, Topor tape dedans pour en ressortir toute la bêtise grouillante…

Cette confrontation au réel passe inévitablement par le corps, les corps, l’anatomie, les organes, les viscères, les sécrétions…. Soit tous ces éléments biologiques qui permettent d’interagir avec le monde extérieur, mais également au monde extérieur de modifier l’équilibre de l’organisme, souvent de manière intrusive.  Roland s’attarde également sur les agressions psychologiques du Réel : angoisses de morcellement, sentiments de dislocation, d’intrusion, perte de contrôle, troubles identitaires, de genre…

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Matière

Preuve s’il en est que l’univers de Roland ne permet aucune catégorisation. En prêtant attention à ses productions, on peut légitimement affirmer que Roland (mal)traite le corps par le biais de l’image, quand la psyché l’est sur le terrain de l’écriture. C’est un fait, le dessin est quelque chose de physique (le crayon salit et le papier coupe), qui permet une représentation du monde physique (voire les dessins d’observation d’après modèles). Là où l’écriture favorise l’introspection et convient bien mieux pour rendre compte du fil de la pensée, des dérives de la psyché.

Le motif essentiel de ses Dessins Paniques est le corps humains, représenté dans son ensemble ou par les détails. Dans nombre de ses romans ou nouvelles (le locataire chimérique, L’ambiguë, Journal in Time…), il nous expose au psychisme plutôt perturbé de ses personnages (qui sont souvent les narrateurs, parfois lui-même). Et bien que cela se vérifie, on ne peut réduire les choses à ça, au risque de passer à côté de beaucoup. Les nombreux contre-exemples nous incitent à jeter cette catégorisation avec l’eau du bain :

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Ce dessin des trois gusses péchant dans un « crâne-mare » est une pure image mentale. Elle évoque bien plus les errances de la pensée que les turpitudes du corps humain. Ces pêcheurs vont-ils à la pêche aux neurones ? Aux idées ? Le bonhomme est-il Roland ? Que cherche-t-il au fond de son cerveau ? Que va-t-il y trouver ? Libre à chacun d’interpréter…

« Encore heureux que la plante des pieds et des mains, les coudes et les genoux soient dépourvus de poils.

Ce ne serait pas drôle de découvrir par hasard un long poil blanc d’entre mes lèvres. Je tire, il résiste. Au toucher, il paraît aussi robuste qu’un crin de cheval. Je m’approche tout contre le miroir et constate en retroussant les babines qu’il pousse sur l’incisive. J’assure ma  prise et l’arrache d’un coup sec. Une onde de douleur me transperce comme s’il s’agissait non d’un poil, mais d’un nerf implanté dans le cœur. » (Jachère-Party, p 42-43)

La force d’évocation de cet extrait est indéniable. On ressent la douleur décrite plus encore que si elle nous était montrée.

Dans le fond, même si elles entretiennent un rapport de dualité et entrent souvent en conflit, matière organique et matière grise  ne font qu’un chez Roland. Je dirais même plus, pour lui qui ne dresse aucune hiérarchie entre les composantes de l’être humain, la psyché est un organe comme un autre, tout aussi important que l’orteil ou la vésicule biliaire.

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Roland 

« J’aurais aimé être capable de prendre en sténo les visages et les lieux entrevus au cours de ma brève excursion terrestre. Mais à quoi bon ? Le dessin-sténo a été avantageusement remplacé par l’appareil photo, la caméra de vidéo ou de cinéma. D’ailleurs mon souci principal n’a jamais été de représenter le monde, mais plutôt de l’imaginer autrement, de me foutre de sa sale gueule, de lui faire un bras d’honneur, de me venger.

La réalité ne me traite pas plus amicalement que mon espèce, il ne faut pas compter sur moi pour l’embellir. Je me contrefiche de figurer à mon tour sur les pages tombales des livres d’art, emballés en cadeaux de Noël.

En revanche, si je parvenais à me rendre l’existence moins oppressante, si quelques heures de récréation réussissaient à me distraire de la corvée de l’agonie, ce ne serait déjà pas si mal. 

Pourtant, à force de dessiner par nécessité, je risquais l’écœurement.

J’écrivais pour sauvegarder mon plaisir de dessiner.

Et aussi pour me tailler en jouant avec les mots un territoire gratuit, sans dieu ni mort, dépourvu de morale et de gravité.

Un aire de jeux hors des lois du monde.

Le talent que j’ai eu, qui me reste, que l’on me reconnaît, ne m’importe ni plus ni moins que le renouvellement de leur carte de séjour ne préoccupe mes amis étrangers. Il incarne une formalité tracassière et dérisoire, inventée pour brimer les déplacés.

Et puis ces questions devraient cesser de m’importuner.

Puisque je suis en jachère, elles ne me concernent plus. »

(in Jachère-Party, p 46-47) 

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S’il se met très rarement en scène dans ses dessins, Roland a souvent le premier rôle de ses écrits. Mémoires d’un vieux con, journal in Time, Jachère-Party… Roland prend la première personne dans ses récits où fiction et réalité s’entremêlent de telle manière qu’on ne peut distinguer le faux du vrai. Mais de toute façon, l’écriture sera toujours fausse, approximative et inexacte. L’autobiographie est une vue de l’esprit, de l’auteur, mais aussi des lecteurs. Partant de ce postulat, les récits autobio de Roland sont authentiquement faux, donc on-ne-peut-plus justes.

A la lecture du Journal in Time, on a l’impression que Roland est plus cruel avec lui-même qu’il ne l’est avec ses semblables. Il ne s’épargne pas et ne se montre pas à son avantage, alors qu’il en avait la possibilité. C’est dire s’il ne triche pas ! Il est ici moins « squizophénique » et semble mieux assumer sa personnalité, jouant de son statut d’artiste incompris à forte notoriété pour se moquer de ses fans et des marchands d’art qui spéculent sur ses œuvres. Car en tant qu’ « Homme Elégant », il « préfère une tache de sauce sur sa veste qu’une décoration ». L’intimité que Roland partage n’est ni impudique, ni nombriliste : « Quand l’Homme Elégant montre son nombril, c’est uniquement la faute de sa chemise ».

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Autoportrait, 1976

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Quand un prof de français a bon goût et organise tout un programme sur Roland pour ses élèves de terminal… Les chanceux ! Document improbable de 1980 déniché par Mr Rêve.

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Boucherie

Que ce soit en gros, demi-gros ou à la pièce, Roland aime débiter les corps. A ce jeu du démembrement et du désossage, on distingue nettement deux types d’images. Il y a d’un côté ces « images mentales » qui évoquent une idée ou un concept. Elles font écho à des angoisses profondes. Et de l’autre les « images physiques », qui représentent très clairement les limites du corps humain. Elles suscitent l’horreur et l’effroi.

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Dans le premier type d’images, les corps sont découpés net, les membres taillés comme des rondins de bois, parfois effacés avec une gomme. On y trouve aucune trace de la chair ou de sang. Dans le deuxième type, Roland y va franchement dans le gore. Les corps sont déchiquetés, arrachés, éviscérés… Le sang et les matières fécales coulent à foison.  Il était tout désigné pour illustrer la collection Gore des éditions fleuve noir. Si ces images sont très souvent allégoriques, elles possèdent une dimension clairement cathartique.

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Dans sa « cuisine cannibale », l’homme devient un animal comme les autres, fait de chair et d’abats qui se préparent à toutes les sauces. Pour le philosophe Roland, l’Homme est une viande pour l’Homme. « L’homme est assez difficile à conduire à l’abattoir car il est capricieux et peu intelligent ».

Pour rester dans la thématique, on ne s’étonnera pas de voir Roland collaborer avec Francois Hadji-Lazaro, membre fondateur des Garçons Bouchers et de Boucherie Production, dans François détexte Topor. Chansons que l’on retrouve dans le Topor Pavé.

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Absurde

Roland est un maitre de l’absurde. Selon le petit Robert, cet adjectif définit « ce qui est contraire à la raison, au bon sens, à la logique ». En effet, détestant le raisonnable et le bon sens commun, il trace sa route contre toute logique connue. Et pourtant, son univers en est pleinement pourvu, de logique…

L’absurde de Roland se situe aux abords du surréalisme à la belge, de la pataphysique et du non-sens à l’anglo-saxonne. Avec une bonne dose d’humour froid des pays de l’Est. Ses points cardinaux sont René Magritte, Alfred Jarry, Gogol et Lewis Caroll.

Il aime à mettre ce grain de sable qui fera insidieusement basculer l’ambiance du normal à l’anormal. Les décalages viennent autant des attitudes des personnages, de l’environnement dans lequel ils évoluent que des interactions entre eux. Ces sujets, environnements et interactions sont multiples et infinies : les corps dans l’environnement extérieur, les organes dans l’environnement corporel, des traits de personnalités dans l’environnement psychique…

Dans une séquence du Journal in time, des personnes agissent normalement face à une situation qui ne l’est pas (Roland est invité à un repas de famille perturbé par la présence d’un tigre dans le séjour. Ils font toutefois comme si la bête n’était pas là). Dans Joko fête son anniversaire, les personnages se comportent étrangement (ils se montent les uns sur les autres !) dans un environnement banal (la ville, les rues…). Dans Le locataire chimérique, le protagoniste agit et réagit bizarrement (comme s’il était persécuté) dans un environnement étrange (ses voisins ont tous l’air d’être contre lui). Bref, chez Roland, rare sont les personnages se comportant normalement dans un environnement normal. C’est incompatible avec son dégoût de la normalité.

Interactions décalées entre l’intérieur et l’extérieur, entre le corps et l’esprit, entre les diverses partie de l’anatomie, entre les différentes faces d’une personnalité (dans le Locataire, le protagoniste est-il un homme qui se croit femme, ou une femme qui se croit homme ?). Une main à la place du pied, une énorme oreille, un petit visage sur une grosse tête, un homme à trois jambes, des doigts vivants… Les décalages absurdes de Roland ont toujours un sens caché, parfois accessible, d’autre fois abscond. Mais jamais gratuit. Même si on ne le comprend pas, on devine qu’il y a quelque chose derrière l’image. Tel un cochon cherchant la truffe, il nous faut gratter pour le trouver.

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Pornographie

L’œuvre de Roland parait mortifère, alors qu’elle n’est qu’expulsion de vie. La sexualité est présente. Normal puisse que Plaisirs et Chair sont les deux mamelles (« la plus belle paire de seins du monde » !) de son corpus artistique. Roland n’a pas peur de la pornographie, mais s’il en use, ce n’est pas pour satisfaire de quelconques pulsions libidineuses (il n’est pas putassier et ne s’abaisse pas flatter les bas instincts de son public). Plus surement pour  bousculer notre rapport au corps (déformation, intrusion, soumission …) et nous tourner en ridicule, renvoyant l’acte sexuel à ce qu’il est : une pratique primitive et animale.

Décrites ou dessinées, ses scènes de sexes n’ont rien d’excitantes (à la différences de celles de ses camarades Siné, Tetsu ou Wolinski). Elles sont bien souvent réduites à un acte froid et mécanique. A croire que pour lui, l’image porno est aussi fausse que l’image publicitaire, faisant la promesse d’un plaisir qui ne sera jamais aussi vrai et intense que l’annonce voudrait nous le faire croire. Vouloir susciter du désir en représentant l’acte sexuel est une tromperie. C’est peut-être pourquoi ces images sont rares car, dans le fond, elles lui apparaissent insignifiantes.

Toutefois, Roland n’est pas insensible à l’érotisme. Il a bossé pour la revue LUI (illustrant des chroniques gastronomiques) et a créé le livre-jeu érotique Le jeu des seins (faites des paires). Il pratiquait aussi le détournement d’images pornographiques. Partant d’un matériau brut et explicite, il recherchait des formes et des figures qu’il soulignait au feutre ou au pinceau, créant ainsi de nouveaux motifs. Cette pratique en dit long sur le respect qu’il peut avoir pour ce type d’images, les considérant comme des déchets qui peuvent être réutilisés et transformés en quelque chose de beau.

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De A à Z

Roland aime les lettres. Dans Le courrier des lettres, elles ont leur existence propre et se passent volontiers de mots pour se faire comprendre. Il met ici l’alphabet dans tous ses états. Preuve s’il en faut que pour Roland, graphisme et graphème sont fait du même geste, du même sang.

Dans Alice au pays des lettres, ces dernières ont le premier rôle. Alice ne tombe pas ici dans un terrier, mais littéralement dans les pages du livre sur lequel elle s’est endormie. Les lettres prennent vie et se rendent toutes à la bibliothèque. Elles cherchent à être engagées dans une pièce de théâtre. Alice les suit, discute avec un Z qui est triste de ne pas avoir été retenu au casting, puis assiste au spectacle. En sortant, elle croise un M qui va être jugé pour faute d’orthographe par les deux tyrans que sont la Grammaire et la Syntaxe. Une émeute s’en suivra en soutien à ce pauvre M… Après avoir renversé les tyrans, les lettres font une grande fête, se mélangent sans aucunes règles pour former des mots incompréhensibles qui « ne manquaient pas de fantaisie, mais risquaient de donner la migraine ». C’est en criant « assez !» qu’Alice se réveille… et va chercher des escargots dans le jardin.

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Roland est dans le dictionnaire. Encore heureux. En 1997, les éditions Hachette ont été on-ne-peut plus réactives, indiquant l’année de son trépas survenu à peine deux mois avant la sortie du dico. Ca force le respect envers cette institution. Il est marrant de constater que dans ce dico généraliste, Topor se situe entre Toponyme (nom de lieu) et toquante (la montre). Inscrit pour toujours entre l’espace et le temps…

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Dans les pages des Noms Propres du Grand Larousse Illustré de 2014, Roland apparait entre Topffer (reconnu comme l’inventeur de la bande dessinée) et le dieu Tor (qui s’écrit aussi Thor, comme le héros  des comics). Mais aussi entre Topkapi (haut lieu de la religion islamique) et Torah (textes fondateur du Judaïsme). Un comble pour le mécréant qu’il était.

Niveau définition, le Hachette n’évoque que le Roland dessinateur d’humour noir au style académique, là où le Larousse le présente également comme écrivain, précise ses origines et parle de son style absurde et décapant. Des définitions très succinctes, qui démontrent la difficulté à résumer son œuvre et l’impossibilité de le ranger dans une case.

Le mieux, c’est de consulter directement Le dictionnaire Topor, rédigé par Laurent Gervereau et édité chez Alternatives… Un ouvrage admirable.

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Enfance

Certes, une grande part de la production de Roland n’est pas à mettre entre toutes les mains. Pour autant, son univers dégage un petit quelque chose d’enfantin. Par cette naïveté et cette cruauté qu’il peut avoir sur les choses et les hommes. Par cette volonté farouche de s’amuser et rire de tout, quoi qu’il en coute. Pour survivre, Roland s’est accroché à cette créativité folle que chaque enfant possède, mais que la grande majorité des adultes perdent. Il a conservé et entretenu ce regard distancé et pourtant très acéré de l’enfance, comme pour mieux se protéger du monde des grands et à jamais refuser d’en faire partie.

Quand il se lance dans la création d’un programme pour enfants (répondant à la demande des créateurs belges initiaux du projet Henri Xhonneux et Eric Van Beuren), Roland se tiendra à un principe fondamental : ne pas prendre les mioches pour des débiles. Moche, cruel, effrayant, rigolard, loufoque… les qualificatifs pour définir cette émission sont légions. Téléchat est un programme court de marionnettes prenant la forme d’un journal télévisé, animé par les deux présentateurs vedettes (Groucha et Lola) et ponctué de divers reportages qui mettent en scène un casting improbable (Duramou, Brossedur, Léguman, Micmac, Pubpub…). Sans oublier le génial Gluon, particule la plus fondamentale permettant de donner la parole à n’importe quel objet.

L’idée essentielle – qui fait écho à la vision animiste des enfants – est que les objets et les animaux ont leur existence propre, vivent et parlent comme les humains. Leurs préoccupations sont les nôtres et ils expriment des revendications bien ordinaires (grèves des galets sur la plage, migration des parapluies…). Le constant décalage absurde qui se dégage de Téléchat  tient au fait que l’on s’identifie facilement à ces personnages improbables et extraordinaires.

Grandir en ayant biberonné à Téléchat n’est pas sans conséquences (et a inconsciemment motivé ma passion pour Roland). Cela a contribué (chez moi et chez beaucoup d’autres je pense) à développer et entretenir une méfiance vis-à-vis des soi-disant vérités des adultes et de la tristesse de leur monde. Car oui, les animaux et les objets ont une âme !

La plus belle collaboration artistique de Roland fut avec son fils Nicolas, alors âgé de cinq ans. Sorti en 1972, Un Monsieur Tout Esquinté est composé de dessins et de textes, tout simplement réalisés par deux enfants.

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J’aime pas… (éditions Hoëbeke)

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La sympathique collection J’aime pas des éditions Hoëbeke donne carte blanche aux auteurs pour se lacher sur un sujet qui les insupporte.

On le sait depuis son claudiquant sur le dance floor, Luz n’aime pas n’importe quelle musique. Il n’aime surtout pas la chanson française. Non pas ses grands classiques qui, de Gainsbarre à Brassens, jusqu’à Dominique A ou Arthur H, méritent notre estime. Non, plutôt cette « nouvelle nouvelle chanson française », incarnée par le plus insupportable de tous : Vincent Delerme, le chantre de l’insignifiant, qui nous assène à longueur d’albums sa litanie des petites préoccupations de l’intime. Les scènes de dialogues entre Delerme et son nombril Bibile sont, à ce titre, fort savoureuses. Benabar, Biolay, Cali, Obispo, Raphael, Aubert, Renaud, mais aussi Yvette Horner, tous en prennent pour leur grade. Que du bonheur…

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Florence Cestac n’aime pas les gens qui se la pêtent et se prennent pour ce qu’il ne sont pas. Le mari parfait, la psy de service, l’adolescente blessée, l’écolo modèle, le grand artiste, le détenteur du bon goût français… Avec son humour gentillement mordant (et son inimitable style « gros nez »), Cestac nous venge de tous ceux qui nous pourrissent la vie au quotidien. Ces insupportables qu’on aimerai remettre à leur place, mais nos bonnes manières (plus surement notre manque de courage) nous en empêche.

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Alévêque et Large eux, n’aime pas la crise. Comme tout le monde me direz-vous. Cependant, les textes d’Alévêque nous confortent dans l’idée que ce n’est pas la crise pour tout le monde, que certains s’en goinfrent royalement, que les plus touchés sont encore et toujours les plus démunis.

S’il pensait nous faire rire, c’est plutôt raté. Non pas qu’Alévêque soit mauvais, au contraire, il est actuellement l’un des meilleurs humoristes politiques engagés (avec Didier Porte et Thierry Rocher), usant de cette prose redoutablement lucide et de ce sens aigu de la chute qui, pour nous faire sourir, nous renvoie à notre condition de pauvre (con). Ce sont les thèmes qu’il aborde qui ne prêtent pas à rire. Heureusement que Large apporte un peu de couleurs à cette grisaille.

Alévêque n’invente rien. Il fait des liens, met en corrélation des informations pour nous éclairer sur les réels enjeux de cette crise, pointant les aberrations de nos classes dirigeantes (politique, finance), dénonçant les dérives du système libéral. On peut ne pas être d’accord, dire qu’il fait des raccourcis. Perso, j’adhère pleinement à sa manière de présenter les choses. Alévêque est un véritable humoriste, espèce rare. Il ne nous brosse pas dans le sens du poil, il nous colle un bon coup de pied au cul !

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Chroniques Wallonnes – Fifi (6 pieds sous terre, 2008)

Chroniques Wallonnes - Fifi (6 pieds sous terre, 2008) dans Chroniques BD chroniques-wallonnes-216x300 

Encore une bande dessinée autobiographique réalisée sur un mode humoristique. Fifi (déjà croisé dans Jade et Ferraille) n’est pas le premier à faire ça, et on voit tout de suite où il veut en venir : nous raconter à quel point la vie de dessinateur de bande dessinée n’a rien de glamour. Que ce travail n’est fait que de répétition et de déprime. Et qu’en rire peut être un bon moyen pour le supporter.

Cependant, l’humour de Fifi n’est pas le même que celui d’un Fabcaro ou d’un Trondheim. Quand ces derniers respectent le principe du gag à chaque fin de planche, Fifi lui, est justement en quête du gag, éperdument. Réaliser une planche par jour est une contrainte difficile à tenir. Surtout si l’on doit trouver une chute à chaque fois. Et bien qu’il n’y arrive que rarement, il n’abandonne pas pour autant (sûrement du à son tempérament d’ancien ouvrier métallurgiste). C’est ce qui fait le charme de cet album.

De fait, il ne se passe pas grand chose. La routine s’installe de manière monotone. On est tenté d’arrêter la lecture, mais au bout d’un moment il se passe quelque chose d’étrange, on est comme pris au piège par cette succession de planches souvent répétitives (manger, dormir, travailler, glander, le quotidien est par nature répétitif). Sur la longueur, il en ressort des thématiques : « la vie secrètes des clés » (où il fait dialoguer les clés d’un trousseau), « les secrets de la bd » (il nous raconte ses « petits trucs »), « la tête dans le cul » (les lendemains de cuites) qui apportent un rythme particulier à l’ensemble. Cette impression de mauvais dessinateur disparaît devant ses dessins d’observations (clés, mobiliers, chaussures, jouets…) ou ces quelques autoportraits réalistes.

Au fil des pages, on constate une évolution de style et d’ humeur. Quand son dessin est très lâché, limite bâclé, on peut en déduire qu’il est dans une période de lassitude, de doutes. Par contre quand son trait reprend de l’assurance, c’est qu’il est sur la bonne voie. Dans le derniers tiers du livre, Fifi semble avoir trouvé le bon rythme, le ton juste, qui donnent tout son sens et son originalité à sa démarche.

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Premières nouvelles de l’Apocalypse…

Premières nouvelles de l'Apocalypse... lapocalypse_logo

Un lettrage qui ressemble beaucoup à l’autre…

Jean Christophe Menu est un homme qui ose. Un gars qui possède de telles ressources que ça force le respect… Il l’avait annoncé, il l’a fait ! L’Apocalypse (sa nouvelle structure éditoriale) fera ses premières armes en septembre, avec une première fournée de trois ouvrages, qui ne seront pas que bandes dessinées. Fidèle à sa ligne de conduite, qui est d’explorer l’art de l’édition livresque, tout en bousculant les frontières entre les disciplines, on trouvera dans cette première livraison : une bande dessinée relativement classique, une œuvre de narration picturale et un recueil de textes sans images.

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Sortie prévue pour le 14 septembre…

Il n’est pas étonnant de voir Menu accrocher Topor à son catalogue, car qui d’autre que Roland incarne cette idée d’ouverture, qui a aussi sublimement triturer les frontières, plus encore, qui ne faisait aucune catégorisation, libre dans tous les domaines, choisissant son médium en fonction de ses humeurs, de ses envies, de ses désirs…

En tant que « presque-toporologue-amateur », mais surement amateur de l’œuvre de Roland, voir Menu rééditer ce recueil d’aphorismes de Topor (sorti en 1992, épuisé et jamais réédité) me fait bien plaisir. On n’éditera jamais assez de Topor !

Extraits : « Le temps est aussi pollué que l’espace. Je viens de passer un sale quart d’heure qui m’a convaincu.« 

« Lève-toi et rampe. »

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Nouvel album de Menu prévu pour novembre…

Dans son communiqué de presse, Menu explique que le nom d’Apocalyspe avait été la première idée de nom à la revue Labo. Menu est toujours ancré dans son passé. C’est ce que j’apprécie aussi chez lui : cette quasi-obsession à inscrire tout ce qu’il fait dans une généalogie. En particulier avec le Futuropolis originel, qui aura fortement contribué à l’essor de cette génération d’auteurs-éditeurs créateurs de l’Association. Très logiquement, L’Apocalypse est parrainé par Etienne Robial.

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