A contre courant de l’autobiographie, Soluto nous parle des autres. Des anciennes connaissances, des rencontres récentes, des membres de sa famille… Soit tout ce petit monde qui gravite autour de lui. De nous également, car on connaît ces personnes. Pas tout à fait les mêmes, mais pas étrangères non plus. Une ex-petite amie, de vieux potes de lycée, des cousins éloignés…On les a déjà rencontrées, croisées. C’est l’universalité des petits mondes. Le jeu de la mémoire et du temps qui passe…
Sidonie fait son cirque…
Vies à la ligne allie subtilement le verbe et le trait. Les dessins nous en racontent bien plus sur les personnages que des mots. Précis et sensible, son trait quasi hyperréaliste cède parfois la place à des déformations proches de la caricature. Comme pour mieux illustrer une particularité physique, un trait de caractère, une situation particulière… Un procédé qu’il expérimente aussi dans certaines de ses peintures. Soluto joue avec ces déformations optiques (effets concaves et convexes) donnant l’impression de regarder ses toiles (ou ses dessins) à travers un miroir déformant ou une vitre mouillée et embuée.
Entre brefs portraits et courts récits, ses textes sont sans fioritures ni excès de style, usant d’un langage parlé (avec oublis de négation) et d’expressions familières. Soluto évite les écueils de l’approche « psychologisante », en instaurant une distance juste envers ces tranches de vies, et par là même, ses propres sentiments. Les relations aux autres sont souvent de l’ordre du conflit, une succession de batailles qui, gagnées ou perdues, laissent des traces, inévitablement. C’est le discours qui apparaît en filigrane de ces Vies à la ligne, et qui ne peut nous laisser indifférents, nous autres êtres sensibles…
Tombe toujours, tu m’intéresses…
Je remercie Soluto pour sa sympathie et sa sincérité, qui a bien voulu répondre à mes quelques questions. Et m’autorise à diffuser le portrait de Max, qui aurait pu apparaitre dans ces Vies à la ligne…
Mitchul : Comment s’est développé ce projet ? Avais-tu une idée précise du résultat ou cela s’est-il construit au fur et à mesure ?
Soluto : Ce projet s’est développé assez rapidement avec les éditeurs, Nicolas Lebedel et Manu Larcenet, pour les Rêveurs… Je leur ai fait parvenir quelques dessins, ceux entre autres d’un portfolio paru sur l’excellent Coconino, avec l’idée qu’ils pourraient peut-être donner lieu à la publication d’un carnet ou d’un recueil d’images… L’idée leur paraissait légitimement un peu courte… Les dessins leur plaisaient mais ils voulaient quelque chose qui puisse permettre d’aller au-delà d’un ensemble à feuilleter… Comme j’avais déjà écrit des textes pour certaines images je les leur ai présentés… Ils les ont bien aimé. On s’est rapidement mis d’accord sur cette formule… Finalement l’idée était déjà dans le blog, même si les textes accompagnaient indifféremment des images à l’acrylique, des aquarelles, ou des crayons… Le projet s’est noué autour des dessins à l’encre de chine… J’ai peaufiné des textes, j’en ai fait d’autres pour accompagner des dessins qui n’en avaient pas. L’inverse a été aussi vrai puisque certains récits attendaient leurs images…
Par ailleurs nombre de textes et de dessins inédits ont été réalisés pour le livre et n’ont pas eu de prépublication sur le blog. Finalement je crois même qu’ils sont en majorité.
M : Ces personnages existent-ils tous ? Les as-tu tous rencontrés ? Quelle est la part de fiction dans ces portraits ?
S : En matière d’écriture et de dessin la question du vraisemblable m’importe plus que celles de la véracité et de la ressemblance. Je mens sans scrupule si le mensonge parle plus juste que le vrai. Ce qui n’empêche pas que beaucoup de ces personnages existent… Il en est certains que je côtoie encore. J’ai bien pris soin de dissimuler ce qui aurait pu les rendre trop identifiables. Souvent j’ai mis en avant des traits qui ne sont pas si marqués dans leurs quotidiens, ou je leur ai prêté des anecdotes qu’ils n’ont pas vécus — mais que d’autres, qui me sont indifférents, ont traversées… Rien de bien original ; écrire c’est déplacer, condenser, rassembler, faire des ponts, des liens improbables et c’est aussi, dans le même temps, trouver le ton, la musique, qui fera tenir le tout… Quant aux histoires, elles ne sont pas vraies à proprement parler, mais elles piochent toutes dans la réalité…
Les narines et les mains ouvertes…
M : De quelle manière as-tu développé cette interaction particulière entre le texte et le dessin ? Sachant que tes illustrations nous en disent tout autant (voire plus) sur les personnages que tes récits, qui ce concentrent sur l’anecdote, l’événement. T’appuis-tu sur le dessin pour écrire tes textes, ou l’inverse ?
S : C’est toute la question de la redondance que tu abordes par ta question… Quelles pouvaient être les marges communes entre ce que montraient les images et ce que racontait le texte ? Mais surtout, que pouvaient-elles montrer, sans risque de trahison, qui soit étranger au texte ? La représentation est toujours à double tranchants. Elle libère l’imaginaire autant qu’elle l’emprisonne. Sans jamais jouer le contrepied, j’essaie que les images décentrent un peu mon propos… Souvent, par un travail classique d’associations, l’histoire m’apparait confusément tandis que je réalise le dessin. L’un me raconte l’autre puis les deux se mélangent et vivent gentiment leurs vies. Ils évoluent pour leur propre compte avec un vague projet commun qui leur donne cohérence…
M : Travailles-tu d’après photo, de mémoire ou sur le vif ?
S : Je viens de la peinture, pas de l’illustration ni de la bande dessinée, et je me méfie terriblement des dessins de « chic », de mémoire et d’imagination…Je les trouve souvent, chez moi (mais hélas aussi chez d’autres) plein de tics… Il y a des facilités très difficiles à combattre. Je dessine moins fréquemment sur le vif, mais je fais beaucoup de photos et je travaille souvent d’après trois ou quatre documents d’un même esprit, d’un même personnage sous différents angles — quitte à les abandonner dès que le dessin trouve son envol… Ensuite, ce qui se passe m’échappe un peu. Quand j’ai trouvé l’angle, c’est un peu comme si ça roulait tout seul… C’est la petite transe que connaissent bien les dessinateurs, à laquelle on devient terriblement addict, et qu’on recherche systématiquement dès qu’on frotte un crayon sur du papier…
Joël…
M : Aux niveaux littéraire et graphique, y-a-t-il des ouvrages ou des auteurs qui t’on influencés dans la réalisation de ce livre ?
S : Je ne sais pas, je ne pense pas… Avant d’arriver à ce livre, comme je ne suis pas un perdreau de l’année, j’ai eu mille fois l’occasion de faire mes exorcismes…. Il y a des artistes que je porte avec moi où que j’aille et quoi que je fasse. Je ne suis plus en lutte, ni en rivalité fantasmatique avec eux. Ils ont leur place et continuent sans doute de me travailler en profondeur. Je sais à peu près ce que je leur dois (presque tout à vrai dire) mais ils se répercutent dans mon travail de manière assez diffractée pour que je ne sache plus bien démêler comment ils s’expriment à travers moi… Et c’est très bien ainsi…
M : Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?
S : Un beau projet d’album en collaboration avec un auteur que j’apprécie beaucoup vient de nous claquer dans les pattes ! La maison d’édition avec qui l’on était en affaire sacrifie son département jeunesse… On espère que ce projet va rebondir ailleurs… Dans un autre registre je suis toujours en lien avec les Rêveurs… On évoque la perspective de refaire un bouquin ensemble…
Sinon je suis en train de finir un recueil de nouvelles (sans images !) pour un éditeur de littérature générale… On se renifle, les manuscrits font des allers retours, ça se précise… Je prépare aussi une expo pour avril 2012 et je me recentre sur l’atelier où une grosse commande de matériel vient d’arriver… Je piaffe d’impatience…
M : Et la bande dessinée ? Comptes-tu y venir un jour ?
S : La bande dessinée, dans sa forme classique, sans doute pas… Mais le roman graphique me taquine ! Chaque chose en son temps… J’y viens… J’y viens…
[entretien réalisé par courrier électronique entre le 1er et le 3 Avril 2011]
Max
Max a toujours de la sciure dans sa moustache. Il est menuisier en retraite, parait-il… Au bout du deuxième perniflard il dit qu’il va me filer un coup de main pour poser les placards dans la chambre de ma fille. On prend des rendez-vous, je l’attends, il vient pas… Il a l’air à chaque fois tellement catastrophé que j’ose pas l’engueuler. Mais ma gamine, qui ne sait rien de sa tronche de Gepetto contrarié, elle grognonne ! Déjà qu’elle est pas contente que maintenant je traîne un peu dans les bistrots, le soir, après le gratin… Elle, elle me dit que si j’avais commandé la pose en même temps, chez Casto, ça serait fait! Je peux quand même pas lui avouer que j’ai tiré ces foutus planches et cent vingt-cinq mètres de cuivre sur un chantier avec Lulu. Ça ferait encore des histoires. C’est qu’elle est pas commode ma fille ! Elle a le même caractère que sa mère…
Oh sa mère… Le tableau… Je supportais plus…
J’y ai foutu le chaud Roger dans les pattes, à ma grosse. Il était pas contre. Tu penses… Depuis qu’il est veuf, c’est pas souvent qu’il quimpe… On s’était arrangé tous les deux, mis d’accord sur le prix du service. Hé ! Entre nous, il se la pète le Roger, ses charmes valent pas le montant qu’il exige. Si j’ai banqué cher, c’est pour conclure vite… Je leur suis tombé sur le poil, entre deux dépannages, un midi, prétextant un yaourt pour compléter ma galtouse! Ah, fallait les voir ! Ma pauvre Maryse qui débordait de sa nuisette en satinette et mon Roger qui lui roulait des saucisses, le valseur à mi-cuisse… Ajoutez en bande son le canapé du salon qui grinçait rythmiquement ! Un régal d’amateur de cocasse ! Bon, passons… J’ai fait mon numéro ! « Salope!» que je gueulais, les bras en l’air… Et tandis qu’elle ramassait son string noir (pauvre Maryse…) pour battre en retraite dans la chambre à coucher, je faisais les deux pouces triomphants à mon cabot de Roger qui se marrait comme une baleine… « J’ai cru que t’allais jamais arriver » qu’il m’a dit à l’étouffée en remontant son falzar. On a beau avoir cinquante piges, on est restés gamins…
Trois jours après, penaude, elle avait foutu le camp. On s’emploie pendant des années à dégouter son conjoint sans succès alors qu’il suffit d’une combine amusante pour vous en débarrasser… Ce que c’est, tout de même, d’avoir de l’imagination… Où j’en étais ?… Oui, ma fille… Je pensais qu’elle prendrait fait et cause pour sa vieille, moi, et qu’elle lui emboiterait la tangente… Ben, pas du tout ! Elle a pas digéré l’incartade de sa mère ! Veut plus la voir ! Elle s’impose une mission : rester avec moi pour pas que je me laisse abattre. Elle interprète mes apéros du soir comme des « tentatives d’automédications antidépressives » (elle ferait bien d’arrêter la fac de psycho, ça lui prend le chou !)…
Et en plus elle m’emmerde pour que je lui monte ses placards !!!
Va falloir que je monte une bricole pour m’en débarrasser… Je crois qu’il est grand temps que je l’aide à conclure son œdipe…
Auto-Soluto
Je vous incite fortement à en prendre plein les mirettes sur son site et sur son blog…
Editions Les Rêveurs
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