Prenant la forme d’un journal de bord, cet ouvrage est une succession chronologique d’articles de diverses natures, illustrés, datés et commentés. Une sorte de « work in Progress » étalé sur quatre ans (du 11 septembre 2007 au 20 août 2011).
« La vérité, c’est que je sais pas pourquoi je fais des tampons. C’est venu comme ça. Ça a poussé tout seul, ça a pris presque toute la place, ça a réduit en poussière tout ce que je faisais d’autre. J’étais dessinateur, avant ça. Pour des journaux sérieux, pour des revues de bande dessinée exigeantes. Plus rien à foutre. Comme ça, brutalement, un jour, j’ai plus pu. Je pouvais plus les blairer : les journaux, les auteurs, leurs gnagnagnas étalés sur des pages et des pages. Je me suis enfermé et j’ai créé le Tampographe. Je n’ai pas d’anecdote significative à raconter, pas de cause première. Je peux juste constater que le Tampographe a tout envahi comme une ronce, tout bouffé, qu’il ne reste que des trognons de mes aspirations premières et de mon goût pour le dessin. J’aimerais bien avoir une belle anecdote bien fondatrice. Mais non. » (extrait de la préface)
En introduction, Vincent Sardon nous présente le matériel nécessaire et le mode opératoire pour réaliser ses tampons. D’une activité ludique commencée en 1993, Sardon s’est lancé pleinement dans cette discipline (qui pue le caoutchouc) durant les années 2000, faisant de lui le seul et unique artiste Tampographe.
Le Tampographe est sous-commisaire des tampons du collège de pataphysique. D’où ses régulières références à Monsieuye Ubu. Le décalage, le détournement et l’absurde sont récurrents dans son œuvre qui, loin de se réduire à la conception de tampons, s’ouvre sur une multitude de champs.
Le Tampographe était un dessinateur de bande dessinée et illustrateur pour la presse. Il n’en garde d’ailleurs pas de bons souvenirs et ne se gêne pas pour cracher son venin sur les auteurs de « bédé autobio » (en particulier les éditions Ego comme x avec lesquels il a collaboré) ou les journalistes de Libération. Il ne mâche pas ses mots, emprunts de rancœur mais non dénués d’humour.
Bande dessinée et « tampographie » sont des pratiques pas si éloignées que ça : reproductibilité (lien avec l’imprimerie), absence de notion d’œuvre originale (le tampon n’a aucun sens en soi, si on ne l’utilise pas), successions des motifs… les points communs sont nombreux et touchent à l’essence même de ces deux disciplines.
Le Tampographe est un bon pointilliste. Ayant édité un ouvrage à ce sujet, il nous présente ici les bons points qu’il a transformé en tampon, histoire de les cumuler à l’infini.
Le Tampographe est un accumulateur d’objets insolites servant à la fabrication de ses tampons (boites d’emballages, sacs de nouvelles montures, produits toxiques) et un collectionneur de choses plus immatérielles (vielles photos de photomaton ou clichés pornographiques en argentiques récupérés auprès d’un ancien employé de la fnac).
Le Tampographe est aussi photographe, rendant compte ainsi de ses divers déplacements, prenant des clichés pseudo-artistiques dans lesquels s’y trouve inséré son nom. Il s’est fait une spécialité des safaris-photos organisés lors de manifestations (politiques ou artistiques), afin de chasser les beaux spécimens de colliers de barbe ou de mèche-visières cachant les calvities. Une pratique dangereuse (comme en atteste ses commentaires), mais le résultat vaut bien toutes les prises de risques. Une démarche qui frôle le burlesque et confirme l’idée que le beau est en toute chose, il suffit seulement de savoir quel angle choisir pour le percevoir et le mettre en valeur (voir le portrait d’endives cuites !). Et Sardon ne manque pas de points de vues.
Le Tampographe est un faussaire, permettant de (re)produire des œuvres d’artistes reconnus (Yves Klein, Ben, Dubuffet, Gaston Chaissac, Bernard Buffet…), au résultat souvent bluffant, pour un prix bien plus attractif qu’un original.
Le Tampographe est un grossier polyglotte, qui s’amuse à fabriquer des tampons vulgaires dans toutes les langues (français, anglais, allemand, roumain, japonais, argentin, russe…).
Le Tampographe est tricoteur, créant ainsi des doudous à l’effigie du père Ubu ou d’Adolf Hitler.
Le Tampographe est pâtissier, confectionnant des gaufrettes déprimantes qui « feront merveilles les lundis matins de rentrée, auprès de vos amis dépressifs qui se cherchent encore une bonne raison de passer à l’acte ».
Le Tampographe serait un garçon un peu dépressif. Mais ça, on s’en tamponne (je prends des risques, car il n’aime pas non plus les jeux de mots foireux!)…
Le Tampographe fait de la politique. Et pour ceux qui se demanderaient si l’art doit être politique, ils trouveront une réponse dans ce magnifique ouvrage, le plus beau que j’ai pu lire venant de l’Association (qui n’en manque pas).
Le Tampographe est un agent provocateur, et c’est tant mieux pour nous. Pour lui aussi : « Je fabrique des tampons, je les vends et avec les sous je m’achète à boire ».
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