Julie Doucet se met en scène pour nous raconter des histoires perturbées, et pour le moins perturbantes. Des anecdotes vécues, des souvenirs, des rêves débiles, expressions de ses angoisses, de ses phantasmes. Sans honte ni tabous, Doucet se met à nu et dévoile des éléments très personnels, ce qui peut parfois nous mettre mal à l’aise. Cette forme d’autobiographie intime, proche de la ‘confidence psy’ est assez rare dans le monde de la BD. Et à ce titre, ses alter-égos seraient Mattt Konture et Joe Matt.
Trash et sans concessions, Ciboire de Criss (que l’on peut traduire par « put… de bor… de mer… ») ne nous épargne pas et nous balance en pleine face toute la virtuosité graphique de Doucet. Son trait d’une efficacité redoutable n’appartient à aucun genre précis. Un graphisme possédant ses propres codes, qu’aucun autre auteur ne peut utiliser. C’est ce que j’aime chez les dessinateurs dit alternatifs : ils n’appartiennent à aucune école et développent leur propre vocabulaire pictural. Doucet est une référence incontournable en la matière.
Une esthétique punk ‘humoristico-expressionniste’ qui relève d’une grande maitrise (du noir et blanc hachuré en particulier). Des miniatures dans lesquels foisonnent une multitude de détails. Il nous faut scruter chaque case dans les moindres recoins pour en saisir toute la richesse graphique, mais aussi narrative, tant chaque dessin raconte à lui seul beaucoup de chose.
« Les thématiques liées à certaines de ses histoires autobiographiques sont bien loin du socialement correct. Elles nous changent de l’éternel garçon obsédé sexuel type Robert Crumb, par ailleurs sa principale influence graphique. Julie Doucet rêve régulièrement de voir pousser un pénis entre ses jambes, ou bien que ses règles deviennent si abondantes qu’elles engloutissent la ville toute entière sous un gigantesque flot de sang noir. Les rêves sont annotés, datés, et représentés le plus fidèlement possible, comme une sorte d’auto-analyse. Même en littérature, on avait rarement vu ça. » (Vincent barrière in Qu’est-ce que la BD aujourd’hui ? Hors-série Beaux Art Magazine, 2003)
Véritable cour des miracles, Doucet représente comme personne la monstruosité de ses contemporains, dressant des portraits tous plus hideux les uns les autres. Ce qui en dit long sur sa considération envers ses semblables, et elle-même… Heureusement, même si elle nous raconte crûment des choses vraies, elle y incère une fine couche d’humour noir salutaire, qui permet de nous distancier. Ciboire de Criss n’est pas qu’une « bonne bédé », c’est une expérience de lecture unique en son genre…
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