Bon, au delà des bruyantes polémiques, que reste-t-il de cette deuxième aventure de Tintin en ce 21ème siècle ?
1) Un témoignage des mentalités et des mœurs de son temps, à savoir la petite bourgeoisie bruxelloise, royaliste, colonialiste et conservatrice des années 20. Le mot nègre est régulièrement employé dans la version de 1931. Bien qu’il n’avait pas la même connotation à l’époque, j’avoue avoir du mal à chaque fois que je lis ce terme péjoratif et dégradant. Tout comme l’est la posture paternaliste et condéscendante de Tintin envers ces « pauvres » congolais (ah, le coup du chapeau coupé en deux !). Hergé a eu beau atténuer les clichés colonialiste de l’album en le redessinant en 1946, rien n’y fait. Cela transparait à chaque case.
2) Un récit d’aventure confondant de naïveté, voire limite crétin à certains moments. Une fiction qui prend énormément de libertés avec la réalité du continent africain. Une accumulation de scènes incohérentes, reposant sur une chance insolente, qui amène nos deux héros à s’en sortir à chaque fois, contre toute logique narrative (voir le passage où les singes les aident en jettent des noix de coco contre le méchant).
Un univers qui se veut réaliste, mais qui n’est qu’un déroulement d’événements fantaisistes, une successions d’absconses situations (quand Tintin se déguise en singe ou en girafe). Sans parler de cette manie pour le moins agaçante qu’ont Tintin et Milou à faire des commentaires sur ce qu’ils vivent, au moment même où ils le vivent (par exemple, quand Milou tombe à l’eau et le requin attaque Tintin).
3) L’œuvre de jeunesse d’un futur géant de la bande dessiné, qui essuie les plâtres de sa pratique de la narration séquentielle (en cela, la version originale est bien plus intéressante). Ce qui distingue Hergé de ses contemporains, et ce dont témoigne cet album, c’est l’utilisation des phylactères et la suppression des cartouches en dessous des dessins. Un procédé pour le moins nouveaux à l’époque, qui fera école. Autre particularité du jeune Hergé, c’est cette constante impression de mouvement. Très influencé par le cinéma, il n’hésite pas à décomposer les gestes de ses personnages de manière quasi chronophotographique, ce qui apportent un rythme soutenu à ses planches (voir la scène de combat en haut de la falaise).
4) Tintin est un des premiers héros à vivre des histoires « réalistes ». La plupart des séries contemporaines développaient des univers fantaisistes ou fantastiques (Little Nemo, Krazy Kat, Mandrake, Zig et Puce, Bibi Fricotin…) Le fait de choisir un héros reporter, allant à la découverte de pays exotiques, inscrivait les aventures de Tintin dans une réalité géographique et historique. D’un point de vue naïf et caricatural dans les premiers albums, c’est à partir du Lotus Bleu qu’Hergé effectuera un travail documentaire conséquent, qui apporta une réelle authenticité aux situations décrites, jamais démentie jusqu’à sa dernière aventure.
Pour conclure, je citerai Benoit Peeters dans Tintin et le monde d’Hergé : « Paradoxalement d’ailleurs, c’est peut-être dans ce côté stéréotypé que réside aujourd’hui le principal attrait de Tintin au Congo. Des missionnaires aux chasses aux lions, des mines de diamants aux crocodiles, l’album constitue un fort bon répertoire des clichés colonialistes. Et l’on finit par se dire que, si le livre n’a rien d’une peinture très authentique du Congo de l’époque, il constitue par contre un excellent document sur l’imaginaire africain qui occupait alors les esprits européens ».
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