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Tu sais ce qu’on raconte… – Gilles Rochier & Daniel Casanave (Warum, 2017)

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Gilles Rochier continue son travail d’anthropologue, décrivant dans ses récits une réalité sociale et émotionnelle qui nous est proche. Cette fois ci, il assure le scénario et collabore avec Daniel Casanave, dont le graphisme vif et direct colle parfaitement à l’urgence du récit. Pour avoir vu les planches originales lors d’une rencontre avec les auteurs (expo à la Maison Pour Tous de Sotteville-les-Rouen, organisé par Fred Au Grand Nulle Part), le noir et blanc de Casanave est d’une classe folle (trait précis, finesse dans les contrastes) et aurai mérité d’être édité tel quel. Rochier raconta que cette histoire – tout comme les précédentes – s’appuie sur ce qu’il a vécu. Ce qu’on a tous vécu : revenir dans son ancien quartier et se faire envahir par les ragots concernant un ancien voisin ou un membre de sa famille oublié. Ces rumeurs (rarement positives) qui circulent et nous arrivent à l’oreille à notre insu…

Tu sais ce qu’on raconte… nous renvoit à ce que nous sommes tous à un moment donné. A savoir des commères du village ou du quartier, prenant pour argent comptant et véhiculant une rumeur dont personne ne cherche à vérifier l’authenticité (d’ailleurs, une rumeur peut elle être authentique?). Dans un village quelconque, quelqu’un croit avoir vu une persona-non-grata, et c’est l’effet boule de neige immédiat, chacun crachant son venin et réglant ses comptes par procuration. Bien sur, comme face à toute rumeur, certains s’en moquent et ne portent pas de jugement. Mais c’est une minorité et dans l’ensemble, les cons se lâchent… Et qu’elle soit vraie ou fausse n’a dans le fond, aucune importance. Par contre, les conséquences dramatiques sont elles, biens réelles. C’est ce qui est pernicieux dans la rumeur (ou la délation), elle révèle la part de cruauté de tout un chacun.

Ce choix d’une narration « chorale » est tout à fait judicieux pour illustrer le phénomène « téléphone arabe ». Déformation, réinterprétation, ingérence, tout y est. Les personnages (panel représentatif de toutes les Catégories Sociales et Professionnelles de la population française, du pilier de bar au médecin) se répondent, se contredisent, mais ne se rencontrent pas. C’est nous, lecteurs, qui suivons cet enchaînement de propos et devons mettre en lien tous ces éléments. On découvre alors les tenants et aboutissants d’un fait divers des plus banal et anecdotique, qui semble concerner tout le monde alors qu’il n’implique que peu de personnes.

Il ne faut pas chercher de morale à cette histoire, même si la conclusion pourrait nous laisser penser une évidence : la connerie, c’est mortel.

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Poésie – Frédéric Poincelet (La Cinquième Couche, 2008)

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Poésie est un recueil de dessins illustrés de Frédéric Poincelet, agencés en 6 chapitres. Un titre qui peut paraître prétentieux. Toutefois, si elle n’est pas affirmée et encore moins revendiquée, la poésie est ici bien présente, de manière subtile et indicible.

L’univers graphique de Poincelet se situe dans un entre-deux, tout à la fois figuratif et abstrait, entre dessins d’observation (nus, paysages…) et schémas mentaux. Espaces indéfinissables, temps suspendu, Poincelet brouille les repères et nous propose une ballade dans un univers étrangement familier, où des paysages périurbains côtoient des motifs abstraits, des portraits et des dessins de femmes désirantes et désirables, à la juvénilité dérangeante. Textes et images s’accordent de manière singulière et décalée, laissant toute latitudes d’interprétations au lecteur.

Poésie est un récit autobiographique intimiste et sentimental, dans lequel rien n’est explicité. Plutôt qu’une approche réaliste, Poincelet privilégie le trait sensible (hésitant et charbonneux), dont la préoccupation n’est pas de faire « vrai », mais de transmettre « sa vérité ». Son travail sur les lignes (horizontales et verticales) est remarquable. Sa palette de gris joue sur les contrastes sans jamais tomber dans les extrêmes.

Face à cette succession de dessins, on ne peut s’empêcher de faire les liens, de mettre en corrélations des formes, des figures, des traits. D’autant plus quand il y a des répétitions de motifs… Toujours cette nécessité d’établir des séquences là où il n’y en a pas forcement.

Poincelet nous démontre que les rapports entre textes et images sont potentiellement infinis et demeurent un formidable terrain d’expérimentation.

poincelet

R.I.P. Marcel Gotlib

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Bon, ça commence à bien faire ! Après Siné, c’est au tour de Gotlib de nous faire faux bond. 2016 est une sale année pour les maitres de l’humour dessiné. Nous voilà à nouveau orphelin. Alors oui, Gotlib est immortel et son oeuvre rayonnera pendant très longtemps. Et même si je ne l’ai jamais rencontré, et qu’il avait pris sa retraite depuis fort longtemps, ça fait drôle de savoir qu’on entendra plus sa gouaille légendaire et qu’on ne verra plus sa trogne d’éternel bambin dans les roman-photos des hors-série de Fluide. Merci pour tout m’sieur !

« Je pense à la mort, c’est toujours là, toujours présent, avec cette révolte de ne pas savoir ce qu’on est venu foutre là, pourquoi on doit se barrer sans rien savoir… C’est ce que dit tout le temps Woody Allen : le grand drame de l’homme, c’est qu’il a conscience de cette absurdité« . (Gotlib in Ma vie-en-vrac)

Brèves de chroniques #8

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Pour ses 25 ans, les éditions Cornelius nous proposent une pochette surprise (qui fleure bon les souvenirs d’enfance) comprenant 6 albums plus des goodies (affiches, livres hors-commerce…) pour la modique somme de 25 euros. Bonne pioche pour moi, avec du Willem (les aventures de l’art), du Bofa (synthèses littéraires), du Trondheim (approximate continuum comix), du Kaz (terrain vague), du Petit-Roulet (bottin mondain) et du Rochette (Edmond le cochon 1). Plus une affiche de Blutch et un ouvrage collectif avec la crème des auteurs maisons. Bref, que du bon pour trois fois rien. Merci Cornelius ! Reste à souhaiter que cette opération n’annonce pas une cessation d’activité comme Ego comme X.

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Wombat vient de lancer une nouvelle collection Poche comique, qui porte parfaitement son nom. Un format poche pour un contenu comique, mais attention, du pointu, du affûté. Pour le premier volume, rien de moins que le Professeur Choron avec son « je bois, je fume et je vous emmerde ». Parfaite profession de foi pour cet iconoclaste, qui jongle avec maestria entre l’humour grivois le plus primaire et l’humour noir le plus trash. Sûr que ceux qui ne l’aimait pas ne l’aimerons pas plus. Pour nous autres, on est bien content de pouvoir lire et relire les propos philosophiques et autres absurdes aphorismes du prof. Un exemple à méditer : « qui sème le vent court après son chapeau ! ».

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Pour le deuxième numéro de la collection, Wombat nous propose du royal : La cuisine cannibale de Maître Roland. Hommage à Jonathan Swift (qui est cité en préface), Topor décline la modeste proposition de l’auteur de Gulliver et nous offre des recettes généreuses et variées (des plus simples aux plus élaborées) pour accommoder nos contemporains et les rendre plus savoureux. Exemple : « Le con se sert avec un peu d’huile et un filet de vinaigre ». A vos fourneaux !

Idées Noires – Franquin (Audie, 1981-84)

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Je me rappellerai toujours de mes impressions lorsque j’ai lu cet album pour la première fois. C’est poilant et flippant, attirant et dégoûtant. C’est surtout virtuose. Comment est-il possible que ce soit le même dessinateur que celui de notre gaffeur préféré. Depuis, je n’ai jamais pu lire Gaston de la même façon…

Pourtant, les thématiques abordées sont les mêmes. Franquin dénonce l’absurdité de nos sociétés modernes qui foncent droit dans le mur de la technologie et de la performance.  Ecologiste reconnu, c’est un défenseur acharné des animaux et un humaniste convaincu. C’est juste la manière qui change. A l’instar de son amis Gotlib (qui édita ces Idées Noires), Franquin marque un virage trash-gore-scato qui lui sert, on le sait, de catharsis dans une période de grande dépression.

Franquin est une référence absolue pour plusieurs générations d’auteurs. Il est marrant de constater que son parcours professionnel est à l’exacte inverse de la plupart des auteurs actuels qu’il influence. Faire la majeure partie de sa carrière dans les plus grand journaux d’après guerre (Spirou, Tintin…) pour aboutir en 1977 dans un fanzine parasite (Le Trombone Illustré dans Spirou) ou une jeune revue qui fleure bon l’underground (Fluide Glacial), est quelque peu… iconoclaste.

Sans aller jusqu’à dire que Franquin est un punk, ses idées noires reflètent parfaitement l’esprit pessimiste et nihiliste de son époque. 1977 marque la naissance du mouvement No Future, où s’affirme cette nouvelle génération désabusée qui crache littéralement à la gueule des valeurs paternalistes. Et c’est ce que fait Franquin lorsqu’il déglingue les vieilles traditions (la chasse, la pêche, la corrida…) et toutes ces institutions aliénantes et destructrices (militaires, scientifiques ou religieuses).

Alors que la mort est omniprésente dans ces pages, son graphisme atteint ici un degré de vivacité jamais égalé. Ces ombres noires amplifient à l’excès les mouvements de ses personnages qui dansent, sautent, volent, s’écrabouillent, perdent la tête ou explosent avec une grâce folle… Franquin nous confirme ici qu’il est le maître incontesté de l’onomatopée (MOP, BOP, SLOP, PNOP!).

Même quand il broie du noir, il nous fait rire. Ce rire ravageur, salutaire, parfait exutoire à nos angoisses les plus refoulées, nos peurs les plus primales. Plus proche du « Bête et Méchant » que des petits mickeys de chez Dupuis, ses bandes anthracites auraient pleinement trouvé leur place chez Charlie ou Hara-Kiri. Mais c’est grâce à Fluide Glacial que l’on peut se délecter, ad nauseam, de ces douceurs macabres.

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