Page d'archive 4

Alice au pays des lettres – Roland Topor (éditions du Seuil, 1991)

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L’absurde de Roland Topor se situe aux abords du surréalisme à la belge, de la pataphysique et du non-sens à l’anglo-saxonne. Avec une bonne dose d’humour froid des pays de l’Est. Ses points cardinaux sont René Magritte, Alfred Jarry, Gogol et Lewis Caroll. Pas surprenant dans ce cas de le voir revisiter l’œuvre phare du romancier britannique. L’héroïne passe cette fois ci « de l’autre côté de la page » (titre initial de cette fable éditée en 1968)…

Dans cet Alice au pays des lettres, ces dernières ont le premier rôle. Alice ne tombe pas ici dans un terrier, mais littéralement dans les pages du livre sur lequel elle s’est endormie. Les lettres prennent vie et se rendent toutes à la bibliothèque. Elles cherchent à être engagées dans une pièce de théâtre. Alice les suit, rencontre un J et un E se tenant le bras tel un jeune couple en lune de miel, discute avec un Z qui est triste de ne pas avoir été retenu au casting, puis assiste au spectacle. En sortant, elle croise un M qui va être jugé pour une faute d’orthographe par les deux tyrans que sont la Grammaire et la Syntaxe. Une émeute s’en suivra en soutien à ce pauvre M… Après avoir renversé les tyrans, les lettres font une grande fête, se mélangent sans aucunes règles pour former des mots incompréhensibles qui « ne manquaient pas de fantaisie, mais risquaient de donner la migraine ». C’est en criant « assez !» qu’Alice se réveille… et va chercher des escargots dans le jardin.

Si pour Roland, l’écriture est « un aire de jeux hors des lois du monde », elle ne peut se faire que sous contraintes. La liberté que procure l’écriture ne s’acquière qu’en respectant des règles strictes. C’est la morale de cette fable illustrée, conseillée aux enfants de tous âges…

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Rouen par cent chemins différents – Emmanuel Lemaire (Warum, 2018)

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Celles et ceux qui connaissent Rouen savent que l’on peut la traverser en long, en large et en travers sans jamais prendre deux fois le même chemin. La cité aux cent clochers est aussi la ville aux mille rues, faite de chemins de traverses et de faux culs de sacs.

Malgré son titre, Emmanuel Lemaire ne nous parle pas que de sa ville. On apprend rapidement que cette histoire devait être autobiographique et concernait sa vie de couple. Mais suite au départ de sa compagne, elle s’est fatalement transformée en un récit sur l’errance et la reconstruction. Emmanuel Lemaire raconte de manière subtile, tout en impressions, les conséquences de sa rupture et les moyens (parfois obsessionnels) qu’il invente pour supporter cette situation difficile, retrouver le goût des autres et des petites choses, la légèreté et le rire. En particulier ce drôle de rituel consistant à ne jamais emprunter quotidiennement le même trajet de chez lui à son travail.

J’ai eu l’occasion de découvrir le travail d’Emmanuel Lemaire lors de l’exposition « Architectures dessinées » à la Maison de l’Architecture de Normandie en 2017. J’aime bien son trait fin et dynamique, son travail sur les verticales et horizontales qui structurent ses compositions sans les saturer. Son style sied à merveille pour dessiner la Ville (Rotterdam, Rouen, Paris…), multipliant les focales, allant des plans d’ensemble aux détails d’un monument. Il sait aussi croquer des portraits attachants de ses contemporains, dressant un panorama assez juste des personnages que l’on croise régulièrement dans les rues de Rouen : un ancien collègue « l’homme au teckel », son ami Olivier le libraire (au Grand Nulle Part, pour ceux qui connaissent), un groupe de marins laotiens en escale, un punk à chien sans chien…)

Qu’elles soient graphiques ou psychologiques, Lemaire cherche les lignes de fuite. Il est en quête et trouve dans ces déambulations et ses rencontres les petits remèdes à sa morosité grimpante, une nouvelle direction à son récit et, par extension, à son existence. Rouen peut-être une ville triste. Mais elle peut, si l’on trouve les bons angles d’approches, être d’un grand réconfort.

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Brèves de chroniques #9

Chroniques de la rue du Repos – Le Tampographe (Flammarion, 2020)

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Le Tampographe nous remet une tournée. Nouvelle maison d’édition, nouveau format mais rien de nouveau par rapport à son premier opus. Et on ne s’en plaint pas. Car même s’il est moins dans « l’avant-garde » (la Tampographie est une discipline maintenant reconnue), on ne peut pas dire qu’il soit devenu commercial (quoique, ça ressemble quand même à un catalogue son truc). Mais tant mieux pour lui s’il arrive à vivre de ses bricoles, et tant pis pour nous. Sardon n’aime pas assez les gens pour leur faire plaisir avec de gentils tampons ou de belles images. On se fait encore bien insulter de plein de manière (en bruxellois ou en langue des signes) et on en redemande, maso que nous sommes. Si comme moi vous n’avez pas les moyens de vous rendre rue du Repos (à côté du Père Lachaise), achetez ses livres…

Le gars d’Hebdo – Tofépi (L’Association, 2020)

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Je ne connaissais pas le gars Tofépi avant de découvrir ce Le Gars d’Hebdo. J’avoue être surpris par le graphisme sommaire et le propos plutôt léger de l’album. Puis, au fil des pages, un truc se passe. On se laisse guider par cette accumulation d’anecdotes à l’humour tendre et bienveillant. J’apprécie surtout ces petites touches de non-dits sur sa vie privée, cette pudeur qui nous incite à deviner les choses. On en découvre peu sur le métier de pigiste d’un journal de province, peu également sur son histoire familiale, et c’est bien comme ça. On en sait assez pour éprouver une réelle sympathie à l’égard de ce garçon.

Le Loup – Rochette (Casterman, 2019)

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Celles et ceux qui suivent Jean-Marc Rochette sur fb savent qu’il a produit cet album en quelques mois seulement, dans un élan créatif remarquable. De l’idée au livre publié, cela lui a pris à peine un an. Un geste, une urgence, en réaction aux attaques trop régulièrement perpétrées contre les loups. Le Loup est un récit puissant, abordant les éternelles confrontations entre Nature et Culture. Baptiste Morizot précise en postface que cette fable aborde deux thématiques essentielles : l’opposition entre l’homme et la Bête sauvage, et la nécessaire (et vitale) réinvention de leurs relations, sur un autre rapport que la rivalité. Jean-Marc Rochette a donné ses traits à Gaspard et assume ainsi la lourde tâche d’incarner la stupidité destructrice de l’Homme. Heureusement pour nous, le Loup veille… Merci à lui.

True Stories – Derf Backderf (Ça & Là, 2019)

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Derf backderf n’est pas un perdreau de l’année. On le connait depuis 2013 avec son ami Dahmer, alors qu’il a produit dès 1990 un nombre incroyable de mini-comics, tous autoédités « à l’aide de photocopieuses et en les distribuant par la poste ». Cet album édité par les fidèles Ca & Là regroupe ce qu’il a fait de mieux, et on peut le croire. Ces histoires vraies vont à l’essentiel. En une à trois pages maximum, quatre images par page, Derf passe au crible de son regard acéré les petites avanies des petites gens. Si quelques-unes lui ont été rapportées par des amis, la grande majorité d’entre-elles ont été directement observées. « Quand elles se déroulaient devant moi, je souriais, levais les yeux au ciel et remerciais le dieu des comics. »

Ce principe du recueil de premiers travaux permet de suivre l’évolution graphique de l’auteur, les pistes qu’il a tentées, abandonnées, les choses qu’il a gardées… Dans ses premiers strips aux noirs et blancs tranchants, il use d’aplats qui écrasent l’espace, mettant tous les plans au même niveau. Puis on le voit s’orienter vers son style actuel, avec ces volumes ronds, et ces ombres marquées. Le passage à la couleur amène de la douceur mais n’enlève rien à la monstruosité de ses figures. Au jeu des références, ces gueules improbables évoquent une Julie Doucet ou un Mattt Konture, plutôt que les piliers de l’underground US, Crumb ou Spiegelman.

Derf est attiré par les marginaux, les hors normes, les malades mentaux. Tous ceux qui n’entrent pas dans les cases et bousculent l’ordre bien établi des choses. Ces histoires vraies ne prêtent pas toujours à rire et dénoncent la stupidité de nos contemporains (on en prend tous pour notre grade). Toutefois, chacune est un concentré d’absurdité et de dérision. A croire qu’il en a inventé la plupart. Mais connaissant le loustic, on peut lui faire confiance. Pourquoi se casser la tête à inventer des scènes aussi improbables. La réalité est toujours plus folle.

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Rencontre avec Derf en 2018…

Redites-moi des choses tendres – Soluto (éditions Du Rocher, 2017)

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Dans son recueil de nouvelles Glaces sans tain, Soluto nous présentait des personnages qui avaient dépassé les limites autorisées de la maladie mentale. Cette fois ci, il nous parle de névroses ordinaires de gens ordinaires.

Redites-moi des choses tendres est un titre évocateur, pour une histoire qui prend le contre-pied de cette belle déclaration. Vu de l’extérieur, une famille « cadre sup’ » bien sous tous rapports. Réussite sociale, pavillon de banlieue, deux enfants… A l’intérieur, tout se désagrège. Un père entrepreneur, dépassé par ses affaires en tous genres (pas que professionnelles), une mère prof de lycée qui se raccroche à l’idée qu’elle se fait de la famille modèle. Un fils livré à lui-même et une fille cleptomane, tout autant désabusée. Désillusions, non-dits, passages à l’acte, il suffit de pas grand-chose pour foutre en l’air cet équilibre fragile.

L’amour est le grand absent (jusque dans le titre). Pourtant, tout tourne autour. Entre ceux qui le perdent ou l’ont perdu depuis longtemps, ceux qui le cherchent sans s’en rendre compte et ceux qui n’en attendent plus rien… Qu’il soit filial, platonique ou passionnel, l’amour est toujours destructeur. C’est l’amer constat que dresse Soluto. On aimerait lui donner tort…

Malgré les apparences, Soluto a de l’affection pour ses personnages. Comme il le précise dans l’incise, s’il parait cruel avec eux et ne les épargne pas, il le sera toujours moins que l’ingrate réalité de leur existence. Sont-ils les uniques responsables de ce qui leur arrive ? Ou est-ce le hasard, la prédestination..? On ne sait pas, et le démiurge Soluto n’est pas plus avancé pour répondre à cette question.

A l’image de ses dessins, Soluto développe une écriture franche, ancrée dans le réel, sans fioritures ni effets de manche. Inscrits dans une réalité géographique (la Seine Maritime), ses personnages existent. On croirait même qu’ils sont vrais, que Soluto nous conte la biographie d’une famille française moyenne, tant on a la forte impression de les avoir déjà rencontré, de les connaitre « pour de vrai » (à moins que ce soit nous ?!). Il est des livres qu’on garde, tant ils résonnent avec ce que l’on vit au moment où on les découvre… Merci Laurent.

http://soluto.free.fr/blog/

http://soluto.free.fr/spip.php?rubrique6

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