Alors qu’il se rend à un entretien d’embauche d’un pas léger, notre héros se rendra vite compte que ce n’est pas qu’une impression. Il devient de plus en plus léger, au point de se retrouver en apesanteur. Obligé dans un premier temps de se lester pour rester sur terre, il fini par réorganiser son intérieur, le plafond devenant son nouveau sol. Ne pouvant plus sortir, tant il perd de la masse, il se retrouve prisonnier chez lui, résistant difficilement à la pression générée par son nouvel état…
Mokeït renouvelle l’art de la chute. Cette inversion des lois de la physique (lourd-léger, haut-bas) apporte une dimension absurde au quotidien plutôt banal du personnage qui, malheureusement pour lui, virera au tragique. En effet, poussée à l’extrême, cette situation surréaliste se transforme en un véritable cauchemar kafkaïen, le personnage devenant prisonnier d’un processus qui lui échappe totalement.
Ce récit sans concessions, raconté en voix off à la première personne, permet de multiples interprétations : soit tout ce qui lui arrive est réel, et dans ce cas on est dans le pur fantastique. Soit tout cela ne se passe que dans sa tête, et là, on a affaire à un cas clinique (dans ce cas, la chute peut être vue comme un dur retour à la réalité). Mais peut-être que cette histoire n’est qu’une parabole sur notre société urbaine, impitoyable pour ceux qui sortent des normes. Un monde dont les valeurs s’inversent, passant insidieusement de la solidarité à l’individualisme, tout comme le narrateur passe de l’embonpoint au rachitisme. Isolé de tous et sans emploi, c’est une fois mort que les gens s’intéressent à lui, seulement parce qu’il dérange leur train-train quotidien (comme on peut le voir en comparant la deuxième et la dernière page).
Son graphisme proche de la gravure restitue parfaitement cette impression d’enfermement. Une variété d’angles de vue qui ne focalisent que sur cet espace intérieur (le hors-cadre est à peine suggéré). Mokeït exploite toutes les potentialités esthétiques fournies par cette inversion spatiale. Une étrange poésie se dégage de ces images. Citons Étienne Robial en préface, qui cite Jean Marc Thévenet : « Je suis sur le cul ! Un Upside down dans le texte ! Jamais vu ici ! Un trait gris en valeur, une texture veinée façon bois, des cadrages parfaits ! Du beau travail ! Ce Mokeït avait déjà du talent, un génie précisément ! »
Merci au édition Hoochie Coochie d’avoir rééditer ce petit chef d’œuvre (à un prix dérisoire), initialement sorti en 1987 dans la collection X chez Futuro. Cette « chute vers le haut » est la seule bande dessinée que Mokeït ait réalisé, préférant s’aventurer vers l’illustration et la peinture. Dommage qu’il n’ai donné suite à ce coup de maître…
Vu le prix et la qualité de l’ouvrage je me le procurerai ! Merci l’ami !
Dernière publication sur carnet à dessins : Une séance
De rien, c’est presque cadeau !
Moi aussi je dis merci !