Le sympathique et généreux Mael Rannou est un fervent défenseur de la small press. Aussi bien conservateur que créateur de fanzines, on retrouve sa plume, tout aussi affutée que son œil, dans les pages des webzines 1 fanzine par jour ou Du9. C’est après s’être découvert un intérêt commun pour Imagex, que j’ai fait la connaissance de ce passionné d’auteurs « à la marge », un érudit en matière de bandes dessinées autres, non formatées, sortant des carcans du « mainstream ». Faisant volontiers tribune à des auteurs, séries ou périodiques qui souffrent d’un flagrant déficit d’image et d’intérêt (et pourtant !). Chroniqueur, scénariste, éditeur, rédacteur en chef mais également dessinateur, Maël cumule les casquettes sans pour autant perdre en cohérence. Je lui commande sur son site deux numéros de son chouette fanzine Gorgonzola (nominé mais malheureusement pas primé cette année à Angoulême !) dont le dernier en date comporte un dossier complet (au moins un tiers du fanzine) sur un auteur rare et singulier : Jean Beguin, alias Poirier, le créateur d’Horace et Supermatou, qui a fait la joie des lecteurs de Pif gadget, dont je fait parti (autre point commun avec Maël). Un dossier fait d’interviews (de collaborateurs et amis de Poirier), de fragments d’une étude stylistiques, d’une biographie complète, de dessins inédits et d’hommages rendus à ce grand artiste qui aura influencé un très grand nombre d’auteurs contemporains. Le reste de ce Gorgonzola 19 est essentiellement composé de bandes d’auteurs de grandes qualités (Vincent Lefebvre, LL de Mars, Marko Turunen, Victor Hussenot…) dont quatre planches inédites d’Imagex. On retrouve dans le numéro 14 les excellents Fafé, Simon Hureau, Benoît Guillaume, Lionel Richerand, Gilles Rochier, Thiriet, Emmanuel Reuzé, jean Bourguignon, Marko Turunen… Tout de bon !
En bonus, Maël m’offre les deux premiers numéros de Ceci est mon corps (le troisième vient de sortir). Je découvre grâce à lui une catégorie de fanzine toute personnelle, que l’on nomme les égozines (pas étonnant qu’il dédie ses deux numéros respectivement à Mattt Konture et Julie Doucet, auteurs de l’égo devant l’éternel). Un fanzine non pas exclusivement réalisée par la même personne (on peut trouver plusieurs auteurs au sommaire) mais possédant un unique et exclusif sujet : l’auteur-créateur du fanzine lui-même. D’où ce titre on-ne-peut plus explicite et justifié. Car loin de se prendre pour le nouveau messie du Do It Yourself, il n’hésite pas à inviter des collègues et amis pour enrichir les points de vue et ainsi apporter une certaine objectivité sur le sujet. Maël se raconte sous toutes les coutures avec une authentique sincérité, à l’image de ses dessins maladroits et pourtant parfaitement maitrisés.
L’impression d’un projet inintéressant et stérile disparait rapidement face à cette authentique démarche d’auteur. Bernard Joubert l’explique parfaitement en préface du deuxième volet : « La BD comme une écriture, ni art ni littérature ni industrie […] Un égozine produit sur moi l’effet d’une rencontre amicale. Un ami me raconte les derniers événements de sa vie. Si je connais l’auteur, ça fonctionne sans coup férir. Si je ne le connais pas, ça m’en donne malgré tout l’illusion. Cette impression de proximité ne se produit pas quand la même chose est imprimée pour un large public ».
Preuve s’il en est que la découverte d’un fanzine se fait souvent par la rencontre avec l’un de ses créateurs. C’est en discutant avec Patrick Grée (libraire vraiment sympathique de la librairie Polis de Rouen), autour d’une exposition des planches d’Anthony Pastor (Las Rosas et Castilla Drive), que j’apprends l’existence de ce fanzine seino-marin qui a connu son heure de gloire à la fin des années 80 (ayant reçu l’Alph’Art Fanzine en 1989). Sorti peu de temps après le remarquable BDétritus, Café Noir possède un aspect bien plus pro. Papier glacé, maquette maitrisée, invités de premier ordre, articles érudits, auteurs maisons de grande qualité, Café Noir est donc ce que l’on nomme un prozine, spécialisé dans le polar et la bédé, qui aurait mérité une plus grande longévité. Ce troisième numéro comprend des chroniques régulières d’albums ou de romans de genre (rédigées par Patrick), des interviews (pour ce troisième numéro : Pierre Christin, Jacques Ferrandez ou Jean Vautrin), un dossier sur les scénaristes et bien entendu, des histoires par la bande (noires et parfois fantastiques). Si certaines fleurent bon l’amateurisme, la plupart font preuve d’une grande maitrise et n’ont pas à rougir face à la production de l’époque (mentions spéciales à Pinelli dont le style se situe entre Duveaux et Schultheiss ou JP Réguer, qui évoque un croisement entre Goossens et Alexis).
Quand je trouve des numéros de BDétritus, je les prends. Même si je les ai déjà. Car ce fanzine m’a ouvert à cette autre bande dessinée, faite par passion et non pour le pognon. Découvert lors de mon premier festival bd (à Yainville en 1987), dont la mascotte était Smurgle le furoncle, l’un des personnages loufoques du dessinateur Ol, BDétritus possède la forme classique d’une revue de bande dessinée : alternance de chroniques d’albums (et de disques), gazette d’informations, interviews (de Druillet, Delporte ou Vatine & Cailleteau) et planches d’auteurs maisons (le génial Turlan, Covello et Fred Duval avec leurs histoires expressionnistes dignes des contes de la crypte, le style destroy de Girard ou les planches sous forte influence « muñozienne » de Izquierdo). Si certains, dont Fred Duval ou Christophe Dépinay dans une moindre mesure, font toujours parti du paysage bédé actuel, bon nombres de ces dessinateurs ont disparu de la circulation. Dommage car certains (Turlan ou Ol, entre autres) possédaient d’indéniables qualités.
Bonjour, vous écrivez dans cet article : « Quand je trouve des numéros de BDétritus, je les prends. Même si je les ai déjà. »
Ma question est donc sachant que mes recherches sont vaines, avez vous le numéro spécial Cailleteau et Vatine en double et seriez vous prêt à vous séparer du double ?
Merci d’avance pour votre réponse et bonne journée.