Alors qu’il devait rejoindre son père aux Etats Unis, Daniel, un ado mal dans sa peau (légèrement asocial et fan de métal) va devoir passer la période estivale avec sa mère Sue, une jeune quinquagénaire mélancolique. Entre le présent stagnant de Daniel et le passé nostalgique de Sue, cet « été des Bagnold » est une succession de scènes du quotidien étalées sur six semaines, comme autant de chapitre du livre. Winterhart fait preuve d’un humour subtil, usant d’une voix off (le père de Sue ? L’auteur lui-même ?) qui commente les événements et permet d’installer une juste distance pour dédramatiser, ou apporter de l’intérêt à des scènes de vie familiale ordinaire (faites de banalités, de décalages et de non-dits) qui n’ont à priori rien de fascinantes.
Joff Winterhart n’a pas son pareil pour raconter les petites subtilités de la vie, souvent invisibles pour les protagonistes, qui n’ont pas forcement conscience de leurs bonheurs. Des tranches de vie découpées en strips de six cases par page. Une contrainte structurelle qui devient un atout car comme il l’explique dans le Ka Boom n°4 : « La rigueur du découpage en six cases par page m’a finalement été d’une grande utilité pour accoucher le récit sous la forme qui m’intéressait […] La répétition du même découpage me faisait évidemment gagner de l’énergie sur la composition de chaque page. Mais devoir condenser une intrigue en six images et suffisamment peu de mots pour que ces images puissent respirer et être lisibles, m’obligeait parfois à trouver des solutions créatives, à épurer mes idées et les réduire à l’essentiel. Du coup, d’une idée un peu trop dense, j’en déduisais deux plus petites ». Cette structure en gaufrier créée une répétition de forme qui fait échos à la vie routinière des personnages. On les voit manger, dormir, changer de vêtements, même s’ils portent toujours les mêmes.
Bien que centré sur cette relation mère-fils, le récit n’est pas fermé sur lui-même. Il s’ouvre sur d’autres temporalités (la jeunesse de Sue, l’enfance de Daniel) et d’autres personnages (Ky et sa mère, le père de Daniel, la sœur de Sue…). A ce titre, la scène du fast-food où Daniel et sa mère sont assis face à un couple père-fille qui semble vivre la même incompréhension générationnel qu’eux, peut être vu comme une case ouverte sur une autre histoire, la promesse d’un récit parallèle. J’aime beaucoup cette manière de présenter les choses. Malgré les apparentes solitudes, nous sommes nombreux à vivre les mêmes événements et ressentir les mêmes émotions.
Son graphisme, aux formes exagérées sans être caricaturales, aux contours ‘baveux’ dut à l’utilisation de subtils lavis de gris, est d’une sensibilité juste. Son trait hésitant et pourtant terriblement précis s’attarde sur des attitudes et des expressions qui racontent les ressentis des personnages. S’il use du procédé « champ contre-champs » pour les scènes de dialogue, Winterhart sait s’arrêter sur des détails qui en disent long – pour la plupart des incrustations de photos, qui ancrent le récit dans la réalité. Une réelle beauté se dégage de ces visages pourtant disgracieux. Winterhart insuffle à ces héros de papier ce supplément d’âme qui les rends plus attachant que certaines « vraies » personnes. Une bien belle rencontre.
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