Je l’avoue, je n’avais jamais lu de Thomas Ott avant de me plonger dans ce Cinema Panopticum. Une expérience particulière. Lire n’est peut-être pas le bon terme, puise que les albums du maître de la carte à gratter sont toujours muets. Cependant, Ott nous raconte des histoires, perturbées et perturbantes, qui s’inscrivent dans la pure tradition des contes fantastiques, cruels et absurdes.
Les cinq protagonistes évoluent dans un univers kafkaïen (comme en atteste le symbole du cafard), pris au piège dans une impitoyable machinerie. Chaque destin est dirigé par une puissance supérieure (des cafards, des extra-terrestres, un médecin-fou ou la Mort elle-même), qui dans le fond n’est autre que Thomas Ott lui-même. Sa manière de considérer (le terme approprié serait ‘maltraiter’) ses personnages suscite chez le lecteur une drôle empathie, mélange de voyeurisme malsain et de pitié. Bien heureux de ne pas être à leur place.
Se baladant dans une fête foraine aux allures de Barnum, une jeune fille n’ayant que cinq sous en poche ne peut se payer qu’une seule attraction : le Panopticum. Dans une pièce, se trouve cinq scopitones à un sou. Chacun porte un titre : The Girl, The Hotel, The Champion, The Experiment, The Prophet. On visionne donc les sketchs en même temps qu’elle. On se rend compte qu’on a déjà croisé les protagonistes dans la foule de la foire…
A la manière des Contes de la Crypte ou de la série La Quatrième Dimension, Ott développe un univers fantastique clos et structuré, comprenant la première nouvelle en ouverture, qui présente de contexte et les protagonistes, le déroulement des quatre autres, que l’on découvre en même temps que la fillette (clin d’œil au film Métal Hurlant ?) et un épilogue, qui revient au contexte du départ. Une mécanique imparable, aux ramifications multiples.
Traditionnel dans sa mise en scène, Ott l’est également dans sa mise en images. Grattant ses petites vignettes (qui sont pour la plupart plus petites que les versions imprimées) tels les illustrateurs d’antan grattaient le bois. Son style est toutefois plus moderne, moins tranché, plus rond que celui des graveurs expressionnistes. Alors que cette technique repose sur les contrastes et la force des hachures pour signifier les formes, Ott a souvent recours aux traits de contours, propres à la bande dessinée, pour dessiner les silhouettes, les figures.
Chaque case est un tableau se suffisant à lui-même. On peut les admirer indépendamment, tant ils racontent beaucoup et regorgent d’une multitudes de détails, tout en devant les intégrer dans une lecture d’ensemble. Ott use d’un langage narratif plutôt classique, découpant l’action en séquences fluides, jouant peu d’ellipses qui trancheraient le récit.
Nous devons malgré tout combler par nous même les non-dits de l’histoire. Qu’a donc pu voir la fillette dans cette cinquième séance ? A chacun de deviner. Mais vu la teneur des quatre premiers sketchs, je me demande si elle n’aurait pas pris connaissance d’une effroyable vérité : elle n’est qu’une chimère, un personnage de papier, le résultat de la créativité d’un auteur un peu sadique, qui ne manque pas d’humour noir…
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