Front nous raconte les tranches d’une vie. Un titre évocateur… Au sens figuré, aller au front, c’est aller effectuer un boulot pénible, une tâche ingrate. Plus politiquement : Front populaire, de gauche ou national, viennent à l’esprit… Ainsi que l’expression « bas du front ! »…
Bien qu’il aborde les questions des rapports de force avec la hiérarchie, des relations hypocrites entre collègues (qui sont mis en compétition) ou de l’engagement syndical (souvent désabusé), Larabie n’attaque pas de front ces thèmes liés au monde du travail. Il raconte de manière détachée et anecdotique les conséquences que peuvent avoir sur un individu, un travail peu stimulant et des collègues plutôt pénibles…
Travaillant à la Poste (au centre de tri ou comme facteur), Max vivote entre les contraintes et les quelques moments sympathiques qu’il arrive à passer avec certains de ses collègues. On a du mal à cerner sa personnalité, qu’on devine plutôt neutre et effacée… C’est le coté frustrant de ces seulement 36 pages. Ce type de récit de l’intime, au rythme lent et décousu, proche du réel (ou plus exactement de la voie intérieure de l’auteur), mériterai bien plus de pages pour installer sa petite musique, favoriser la rencontre avec les personnages et ainsi emporter l’adhésion du lecteur.
Le graphisme leste et vif de Larabie apporte une énergie qui renforce ce sentiment d’urgence. Comme s’il avait dessiné cet album en quelques jours seulement. Pourtant, cette impression de bâclé s’efface devant cette parfaite maîtrise des effets de planches. Pour la plupart de type « gaufrier six cases », sans les contours, il se joue de l’espace de la planche, inscrivant le récit dans une temporalité particulière. Par exemple, lorsque sur une double page (9-10), Max et sa compagne sont réveillés en pleine nuit à cause d’une voiture qui a du mal a démarrer, Larabie ne représente que les yeux de ses personnages pour dessiner au fur et à mesure les silhouettes. En gardant la structure des cases sans les signifier, laissant ainsi évoluer la séquence sur cette double page au fond gris uniforme, il évoque parfaitement ce cours instant de flottement quand on reprend doucement nos repères dans la pénombre, dans l’état semi-conscient d’un réveil trop brusque.
Alors bien sur, Front est un album qui dénonce, mais sur un mode distancié et désabusé, plutôt cynique que réellement satirique. Un auteur/narrateur qui assume pleinement sa subjectivité. Ça fait du bien.
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