Sous le signe du Capricorne est le premier Corto que j’ai lu. J’y ai découvert la magie du noir et blanc pur, la beauté des contrastes forts. Un univers onirique et envoûtant que je ne cesserai jamais d’aimer.
Pratt est un incontournable, un des rares – en particulier à partir de la création de Corto – à s’être pleinement affranchi des codes traditionnels de la narration figurative (et de l’influence d’un Milton Caniff), parvenant ainsi à développer une manière très personnelle de raconter une histoire en images et en mots. Un nouveau vocabulaire en somme, qui va au-delà du simple agencement de textes et de dessins. «Pour moi, aujourd’hui, le graphisme part de la nécessité d’un trait pour aller à l’impératif de la parole». Avec lui, narration et figuration établissent un nouvel ordre, le dessin se faisant signe quant les mots deviennent vecteurs d’images.
Pratt est un explorateur de la narration et un extraordinaire dessinateur (n’en déplaise à certains…). Son trait est brut, excessif, approximatif dans ses représentations, et pourtant terriblement précis dans ses intentions. A l’image des mouvements raides et maladroits de ses personnages lors des scènes de bagarres qui, pour peu «réalistes» soient-elles, possèdent une forte puissance d’évocation. Pratt ne se préoccupe pas de faire «vrai», puisse qu’il nous raconte sa vérité.
« Comme toute grande œuvre, l’œuvre de Pratt est éminemment philosophique. Elle propose une vision du monde et de l’homme qui a quelque chose de nietzschéen. La complexité du réel, la multiplicité des hommes et des valeurs, place d’emblée le lecteur par-delà le bien le mal. Le jugement moral s’efface : l’étonnement prime. De cette confusion des sentiments se dégage un immense OUI. Oui à la vie, oui à sa beauté, oui à sa violence, oui à sa douceur, oui à sa cruauté, oui à ses illusions et à ses rêves. L’œuvre est toute entière placée sous le signe du désir. » (Grégoire S. PRAT in En Verve Hugo Pratt – Horay, 2004)
Intuitif et dilettante (pour un marin, il passe beaucoup de temps à terre), Corto semble être l’archétype même de l’anti-héros, se laissant balader par les événements, donnant l’impression de ne rien maîtriser. Mais ce n’est qu’une apparence. Corto est un homme d’action («Ce sont les faits qui comptent et non les paroles» dit-il à Tir Fixe), qui s’en sort toujours avec une chance et une nonchalance insolentes. Il est né sous une bonne étoile, sans forcement y croire d’ailleurs. Ce mysticisme refoulé fait la force du personnage qui, souvent par contradiction, conserve un esprit rationnel lorsqu’il est confronté à des événements oniriques et surnaturels.
Corto est un séducteur craintif, qui se méfie bien plus des femmes qu’il croise que de ses pires ennemis («les femmes seraient merveilleuses si tu pouvais tomber dans leurs bras sans tomber entre leurs mains»). Son dialogue avec Bouche dorée est à ce titre éloquent : «-Ici tu aurais trouvé tout ce que tu cherches… Mais tu es aveugle comme une taupe… -C’est bien possible, Bouche Dorée… mais c’est à moi de m’en apercevoir.»
Raconter ne sert à rien, il faut le lire, se laisser guider par le maître d’aventure… Sous le signe du Capricorne est le véritable premier acte des aventures de Corto. Tous les personnages centraux de la saga y sont présents (professeur Steiner, Bouche Dorée, Raspoutine…). Une mise en place qui ouvre sur des récits fascinants…
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