Après Vies à la ligne, superbe recueil illustré, Soluto vient de sortir un deuxième ouvrage, Glaces sans tain, dans lequel il a abandonné ses crayons pour n’utiliser que des mots. Mais rassurez vous, on y perd pas au change, tant la prose de Soluto possède de grandes qualités. Sensible et d’une incroyable précision, son écriture nous emmène, l’air de rien, dans les méandres de la folie ordinaire.
Les trois premières nouvelles nous racontent des tranches de vie de personnes plutôt perturbées. Soluto sonde la part obscure de ses personnages, sans pour autant tomber dans l’étude de cas clinique. Trois destinées qui ne répondent à aucune logique – si ce n’est la leur – et corroborent cette idée que rien n’est joué à l’avance, que les événements antérieurs n’influent pas automatiquement sur les actes à venir. La prédestiné n’existe pas. Chacun peut encore agir en fonction de son libre arbitre, mais plus sûrement en fonction de ses pulsions.
Dans L’île aux bœufs, le narrateur est une personne ordinaire, qui dans sa jeunesse commettra un crime pour lequel il ne sera jamais puni. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir une vie tout à fait normale (médecin, marié, des enfants), sans jamais reproduire cet acte ignoble. Il ne justifie rien et ne semble avoir aucun remords : « J’étais bien là, en pleine conscience, et je ne l’ai pas tué malgré moi. J’étais au contraire en parfait accord avec l’instant et l’univers tout entier. Un sentiment d’inébranlable puissance me portait. »
Dans Fausses reconnaissances, le personnage principal est un schizophrène, paranoïaque et violent, persuadé d’avoir reconnu Elvis Presley dans un bar parisien. Et que ce dernier fomente un complot avec l’aide du gouvernement. Bien sur, il fera tout son possible pour empêcher ça, sans prendre conscience des conséquences…
Quelques couvercles soulevés, titre magnifique pour une nouvelle que j’ai particulièrement apprécié, tout autant que la première. Je les considère comme des contraires, se faisant face à travers la glace sans tain. L’un passe à l’acte alors qu’il n’a a priori aucune raison de le faire. Quand le deuxième a toutes les raisons, mais ne le fait pas. Le plus troublant est que le moins perturbé des deux est celui qui a franchi le pas.
La quatrième et dernière nouvelle, la ménagère apprivoisée, se distingue des autres pour plusieurs raisons. La première est que Soluto se met directement en scène. L’emploi de la première personne est pour le coup on ne peut plus justifié. A la différence des trois premières, cette nouvelle est placée sous le signe d’Eros (avec des scènes superbement racontées, jamais vulgaires). Cependant, nous savons depuis Freud qu’Eros et Thanatos sont intiment liés. En effet, si Soluto semble avoir de la considération pour l’autre, cette dernière n’est dans le fond qu’un objet lui permettant d’assouvir ses pulsions. Un objet qu’il tue symboliquement, sans grands remords.
Soluto a choisi de nous mettre dans la peau de ses personnages. Une pleine immersion dans la personnalité complexe de ces individus. Ecrire à la première personne est un choix audacieux et risqué, dans la mesure où il est plus difficile pour le lecteur d’installer une distance avec ces personnages peu recommandables. Cependant, à aucun moment Soluto n’excuse, ni ne juge les actes de ses protagonistes. Il reste sur un mode opératoire, descriptif, nous laissant toute latitude pour interpréter par nous même ce qui se joue chez ces personnages.
La virtuosité de Soluto nous emporte, impossible d’abandonner le fil de ses récits. Certains évoquent Flaubert. Pour ma part, Soluto s’inscrit plutôt dans une filiation avec Maupassant. Outre le format nouvelle, par cette faculté à inscrire ses histoires dans une localité géographique précise (Oissel, le Havre, Rouen…) tout en leur apportant une teneur universelle. Par cette impression très diffuse qu’un événement incongru (voire fantastique) n’apparaisse à chaque nouvelle page.
Tout à la fois biographie, fiction, autobiographie et autofiction, ce Glaces sans tain est un exercice littéraire original et réussi. Cette manière de faire corrobore l’idée que l’écriture puise dans de nombreux champs (du fait divers, de l’imaginaire, du fantasme…) et que la véracité des tenants et aboutissants n’est qu’anecdotique. On se moque de savoir si ces histoires sont vraies ou pas. Ce qui est sur, c’est qu’elles nous parlent, nous provoquent, nous bousculent, nous questionnent sur la nature humaine… Rassurant, ça prouve qu’on est encore vivant !
Il me branche grave ce bouquin !!! Je crois que si la fin du mois me permet de me lâcher un peu il va y avoir craquage
tu peux y aller, Soluto est un bon !