Premier manga à avoir connu le succès en France, Akira a collé une claque à nous autres, amateurs de bande dessinée de science fiction. Pour ma part, j’y ai découvert toute la puissance d’évocation du médium.
Otomo a su transcender le traumatisme de la bombe nucléaire en une histoire totalement délirante mais ô combien cohérente, à forte teneur émotionnelle. Y apparait en toile de fond le contexte politique et social du Japon des années 80, ses angoisses héritées d’Hiroshima et Nagasaki, la fuite en avant dans le développement des nouvelles technologies. La thématique principale du récit est proche des concepts de Biomécanique ou de « Nouvelle Chaire » chères à Giger et Cronenberg. Sans oublier l’esthétique steampunk du film Tetsuo de Shinya Tsukamoto. Katsuhiro Otomo dénonce les dérives du transhumanisme, qui tend à désincarner l’humain, le transformant en une mécanique incontrôlable… C’est la morale de cette histoire : se prendre pour Dieu et vouloir maitriser ce qui nous échappe n’est jamais sans conséquences. L’Histoire nous l’a démontré à maintes reprises…
Arrêtons-nous sur la scène d’ouverture, qui annonce les grands axes du récit à venir : Les rapports entre Kaneda et Tetsuo. Le premier, chef incontesté de la bande, est le modèle du second, le frêle petit du groupe, qui subit l’infantilisation de ses camarades, de Kaneda en particulier ; Le choc, l’explosion de la collision, sur le site même de la première déflagration nucléaire, qui sera le point de départ des transformations et mutations de Tetsuo ; L’apparition énigmatique et la disparition spectrale du numéro 26, première rencontre avec un membre de la famille des mutants, et premier élément surnaturel d’une histoire qui en regorgera ; L’intervention pour le moins obscure des militaires, qui arrivent avec un temps d’avance sur les autorités « officielles ». Ce qui corrobore cette idée de complot…
Dans ce premier volume, apparaissent tous les tenants (Kaneda et Tetsuo, le colonel et ses sbires, Kay et son frère Ryu, Takashi, Masaru et Kiyoko, même Akira est évoqué…) et aboutissants (la quête d’une surhumanité, le despotisme des militaires, l’impuissance des scientifiques à contrôler leurs créations…) de cette histoire de dingue, qui annoncent de purs moments de délires narratifs et esthétiques. Influencé par les dessinateurs occidentaux (Moebius surtout), Otomo fait preuve d’une virtuosité graphique remarquable de dynamisme et de précision. Un sens du rythme dans ses séquences et mises en pages plutôt éloigné du manga traditionnel. Ce qui explique surement son succès auprès des lecteurs occidentaux de l’époque, pas encore habitués au vocabulaire du manga (peu d’ellipses, surabondance de tirets de mouvements…) et à sa lecture inversée.
Un chef d’œuvre qui n’a rien perdu de son intensité.
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