« Les députés ont adopté la loi qui supprime le prix unique du livre, à laquelle se rattache l’interdiction de l’auto-édition. En effet, toutes les publications devront désormais passer entre les mains d’un éditeur certifié et agréé, afin de mieux contrôler les contenus à caractère litigieux et offrir aux auteurs des conditions optimales de distribution de leurs ouvrages. » (4ème de couv’)
Ce postulat digne d’un scénario d’anticipation (évoquant le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury) – malheureusement pas si fantaisiste que cela – transforme en un clin d’œil un groupe de créateurs de fanzine en de dangereux terroristes. Une pratique marginale mais plutôt confidentielle devient un acte déviant, dangereux pour la bonne moralité de la société. C’est l’un des effets pervers d’une telle loi répressive : attirer l’attention sur un phénomène qui, dans le fond, n’est pas si transgressif que ça. Car ce n’est plus le contenu qui peut être de nature subversive, mais l’objet fanzine en lui-même.
Interdire l’auto-production, sous prétexte d’apporter aux auteurs de meilleures conditions d’édition, est un moyen efficace pour contrôler les esprits subversifs et censurer tout message non politiquement correct. En un mot : museler la liberté d’expression !
Heureusement, un groupe d’ami ne l’entend pas de cette manière et prend le risque de continuer à produire leur fanzine. Leur création s’associe maintenant à un discours et des actes revendicateurs. Se procurer une photocopieuse au marché noir, distribuer gratuitement leurs productions dans les espaces publiques (abribus ou bancs publics) et inventer les attentats encriers, inspirés des attentats pâtissiers de Noël Godin, en remplaçant la tarte par de l’encre de chine. Tout un symbole !
La grande originalité de cet album est cette constante mise en écho entre le fanzine créé par les personnages et le livre que nous tenons dans les mains. Outre le titre en commun, rien ne nous empêche de penser que le contenu du fanzine puisse être le même que celui de l’album que nous lisons, dans la mesure où, à l’exception de quelques cases encadrées en noir, nous n’avons pas connaissance de son contenu. La couverture en carton brut de l’album renforce cette impression de « livre-fanzine » et contribue à brouiller la frontière entre fiction et réalité.
Côté mise en page, Maurel alterne entre des planches classiques (type gaufrier) et des compositions plus libres, dans lesquelles il use d’effet chrono-photographique, décomposant le mouvement d’un skateur dans un même espace.
Son graphisme semi-réaliste m’évoque celui de Mathias Cousin (dessinateur du Chant de la machine), avec ses volumes hachurés pour les décors et ce trait plus en à-plat pour les personnages. Un style graphique plutôt « underground » qui convient parfaitement aux propos de l’histoire.
Véritable manifeste pour la libre édition, Blackbird soulève des questions fondamentales quant à la liberté d’expression et d’entreprise dans notre société moderne qui, sous ses dehors progressistes, n’en demeurent pas moins très conservatrice. Il suffirait de peu pour que nos libertés individuelles ne se réduisent à peau de chagrin. Soyons vigilants !
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