Découvert à l’époque de sa sortie (merci à l’ami Swamps) dans les pages de feu USA Magazine, Sin city a été (est encore) un choc esthétique. Une claque. Par cette manière particulière de triturer le noir et blanc jusque dans ses retranchements. De signifier les formes par le contraste et non par le trait, flirtant ainsi avec l’abstraction. Par cette hallucinante maitrise du procédé négatif-positif…
Dans l’excellent ouvrage Eisner-Miller (chez Rackham), Miller explique : « Quand je reviens sur une page, une fois que j’ai appliqué mes à-plats noirs – parce qu’il n’a pas de trait sur la planche, elle se résume à de grandes étendues noires – les à-plats ont séché et la page est toute neuve. J’ai aussi tendance à travailler plus simplement avec moins de traits, de façon à voir à quels endroits je dois procéder à des retouches. [...] Il m’arrive de laisser la moitié d’une page blanche – juste parce que j’en ai la possibilité – j’adore ça ! Je sais que ça va perturber le lecteur, parce que l’espace est exploité de façon étrange ».
Ses mises en pages sont très souvent déstructurées, disloquées. Comme s’il cherchait par tous les moyens à contenir la rage de ses personnages dans le cadre étroit de la planche. De tenter de les enfermer dans une cage de papier qui s’avère bien inefficace pour canaliser leurs pulsions. Les personnages s’en échappent pour littéralement se jeter sur nous ! Et bien qu’ils soient massifs et lourds, leurs mouvements sont vifs et précis.
La ville du pêché, qui est suggérée par ses contours plutôt que par des détails méticuleux, est un bas-fond sordide, dans lequel le freak Marv’ rencontre la sublime Goldie. Il n’est pas dupe et sait bien que ce n’est pas amour que la belle s’est jetée dans les bras de la bête, mais pour qu’il la protège. Ce qu’il n’arrivera malheureusement pas à faire. S’en suit alors pour Marv’ une quête effrénée, animée par un exclusif et dévorant sentiment de vengeance.
Rarement le fond et la forme n’auront été en si parfaite adéquation. Miller met la lumière sur la part d’ombre de ses personnages. Car à Sin City, il n’y a pas de bons ou de mauvais. Tous pourris ! Individualistes et idéalistes, les trois héros de la saga n’agissent que dans leurs propres intérêts, assouvissant leurs pulsions destructrices.
Un comics sans super-héros ni super-pouvoirs, nous racontant des histoires sombres de personnes violentes et désabusées. Miller a su remettre au gout du jour le genre hard-boiled avec une telle maestria que vingt ans après, on ne s’en remet toujours pas.
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