Francis Masse est un franc-tireur de la bande dessinée rare et singulier, dont l’univers pictural et l’humour absurde ne sont pas simples d’accès.
Après avoir enseigné le graphisme, Francis Masse, déjà peintre et sculpteur, débute au début des années 70 par des courts-métrages en animation. Ses premières planches de bande dessinée paraissent dans la presse underground de l’époque puis, fin des années 70, dans la presse de bande dessinée : Pilote, Fluide Glacial, Charlie Mensuel, Hara-Kiri, L’Echo des Savanes, etc. C’est à cette époque qu’il affuble ces personnages de cet imper et ce chapeau melon si caractéristiques.
Histoires à carreaux, in « L’écho des savanes présente F. Masse », éditions du fromage, 1976
« Masse est dès l’origine un cas, le seul dessinateur peut-être auquel il serait vain de chercher des influences. Son graphisme tout en hachure fait de lui un virtuose du noir et blanc, mais il prouve qu’il est tout aussi à l’aise avec la couleur. Masse propose un univers évident, entendons par là, un univers qui se suffit, qui véhicule sa propre logique, qui repose sur sa propre physique et s’impose à partir du simple enchaînement ainsi réglé des images et des dialogues. Il n’est même pas besoin d’évoquer le fameux nonsense. Certes masse n’y est pas insensible, mais rien n’est pourtant plus sensé que l’univers qu’il nous présente. Car le plus surprenant est là, l’univers de Masse est un univers familier. Il en est d’autant plus inquiétant. » (L’encyclopédie des bandes dessinées. Albin Michel, 1986)
Les deux du balcon
Sorti après Les deux du balcon, archétype de l’univers loufdingue de Masse, la mare aux pirates joue de ce même décalage entre ce que vivent les personnages, souvent dans des espaces insolites (un balcon ou ici un bateau pirate) et la teneur de leurs propos. A l’image des deux du balcon qui, dans Quanticos contre Classicos, vendent des tomates pourries depuis leur balcon, tout en dissertant sur le concept de non-séparabilité de la physique quantique. Ou quand les pirates de la mare prennent un cours d’économie, dispensé par le perroquet du navire…
La mare aux pirates
Cette succession de situations surréalistes l’inscrivent dans une filiation avec Fred. En particulier cet amour partagé pour bousculer le langage BD, questionner en permanence les dimensions spatiales et temporelles de la planche et du dessin et ainsi mettre la 2D dans ses retranchements. Son humour repose très souvent sur ces incessants décalages entre un espace très théâtral (unité de lieu et de temps, impressions de décors en cartons pâtes, personnages déguisés…), les situations vécues par les protagonistes et les dialogues dingues.
Car Masse n’a pas peur du verbe, bien au contraire. Certaines de ses cases sont envahies par des phylactères bourrés de textes. Cependant, ces bavardages lui permettent d’installer des moments de silence, qui cassent le rythme de la narration.
La mare aux pirates
Son graphisme minéral et brut génère des formes sculpturales. « J’étais le roi du modelé : hachures d’ombres qui faisaient tournoyer les volumes dans la lumière… ». Comme il nous l’explique dans l’interview réalisée pour l’exposition Quintet, il était arrivé aux limites de la représentation en deux dimensions et ne supportait plus cette vision du monde coincée dans un rectangle. De cette planche de bd qui n’est qu’une succession de rectangles dans un grand rectangle. Pas étonnant alors qu’il se soit investi dans la sculpture. Il lui fallait de la matière, de la sensualité, de la masse…
Intrigues de basse cour, Nicole et Francis Masse, 1996
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