Crumb au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, y’a comme un décalage… Le pape de l’underground qui a ses entrées dans l’Antre de l’Art Moderne, c’est un peu comme si Iggy Pop devenait officier des Arts et des Lettres ! Aah ? C’est déjà fait ?! Alors, j’ai rien dit…
Bon, foin de sarcasmes. Crumb est un génie, un monstre du dessin qui mérite amplement tous les honneurs, qu’ils soient officiels ou officieux. L’intégralité de son parcours nous est présentée par étapes chronologiques. Soit plus de quarante ans de carrière, jalonnée par pas moins 700 gribouillages. Mr Natural, Fritz, Snoid, Pekar, Buk, Kafka, Zap, Weirdo, Actuel… Personne ne manque à l’appel.
Ce qui caractérise Crumb, et dont on se rend pleinement compte ici, c’est qu’il n’est pas un carriériste. Il n’a jamais cherché à être à la mode. Il a su conserver son intégrité, sans aucuns compromis… Il est libre Robert. Libre de dessiner ce qu’il veut. Même la Genèse…
Je m’attendais à une exposition moins sage. J’aurai aimé que Crumb explose l’espace bien rangé des salles d’expo. Et à part le festival de couleurs de la grande salle, où l’on trouve une sculpture d’une de ses plantureuses créatures, des portraits d’artistes et les pochettes de disques (dont le mythique dessin original de l’album de Janis Joplin), la majeure partie de sa production nous est présenté de manière classique et linéaire. Rien de spectaculaire ni de tape-à-l’œil, sauf si on sait regarder avec la bonne focale. Car tout est question de focale chez Crumb. La sobriété n’est qu’ambiante, la folie se situe ‘dans’ ses dessins.
Cette expo n’échappe pas cet éternel problème : comment rendre attrayantes des planches de bd ? Quel intérêt de sortir une planche de son contexte ? De l’exposer tel un tableau ? Ces questions n’ont plus de sens quand on se trouve devant les planches et dessins originaux de Crumb…
Mais attention, ne tombons pas dans la sacralisation de l’Original ! Car pour lui, la version imprimée et diffusée EST l’œuvre achevée. C’est pourquoi les planches originales sont accompagnées des revues dans lesquelles elles ont été publiées. L’aspect séquentiel est respecté. On peut donc lire les histoires sur les murs. Cependant, une bande dessinée se lisant plus facilement « à plat », les organisateurs ont mis à disposition des visiteurs une version imprimée à feuilleter en dessous des planches exposées.
Je ne me lasse pas de la folie de ses mises en pages, de son sens irréprochable de la séquence (il use de nombreuses itérations iconiques), du mouvement. De ses formes tantôt humoristiques, tantôt quasi hyperréalistes. Crumb est un moine copiste, un enlumineur névrosé qui passe les trois quart de son temps à gratter sa feuille. Un obsédé (ça on le savait déjà) du modelé hachuré, du fourmillement de traits, de l’accumulation de détails jusqu’à la saturation, tout en assurant une parfaite lisibilité. Une prouesse d’autant plus grande qu’il dessine sur les formats de publication (albums ou revues). A ce titre, ses planches de la Génèse sont admirables.
Mais ce qui nous a littéralement scotché, avec les amis Bruce et Vidocq, se sont ses portraits. Des femmes, typiquement « Crumbiennes », des artistes connus, des chanteurs inconnus, chaque portrait est une pure merveille d’intensité, de beauté.
Une exposition riche et foisonnante. Un peu trop peut-être, la saturation n’était pas loin sur la fin… Mais une overdose de Crumb, on en redemande !
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