Cette histoire nous démontre que Pouvoir politique et Architecture ont toujours été intimement liés. Tous les gouvernements, en particulier les plus totalitaires, prouvent leur grandeur par des monuments et des projets urbanistes hors-normes, démesurés, se voulant éternels…
Montrer sa puissance, mais aussi organiser la vie de la cité. Les enjeux politiques sont toujours plus forts que les considérations esthétiques. L’urbatecte Eugen Robick fera les frais de cette conception. Il ne convainc pas le Rapporteur et ses Commissaires de construire un troisième pont qui, s’il harmoniserait la ville et permettrait une symétrie parfaite, créerait surtout la jonction entre deux rives, deux franges de la population que les autorités ne veulent pas voir se mélanger. Contrôler les quartiers, c’est contrôler les populations et ainsi protéger les intérêts des plus riches, des plus puissants.
Un mystérieux cube de matière inconnue, se développant rapidement en réseau, permettra à Eugen de voir son projet se réaliser. Non pas de la manière qu’il l’aurait souhaité (la structure évolue de façon anarchique et ne correspond pas à ses choix esthétiques), le résultat allant au-delà de ce qu’il n’imaginait même pas. Cette situation exceptionnelle chamboule l’organisation sociale de la ville, ébranle les autorités impuissantes face à ce phénomène et bouscule les conceptions de Robick, qui semble remettre en question son « classicisme symétrique ». Ce nouvel attrait pour les arabesques est-il dû à sa rencontre avec Sophie ?
Ce réseau de cube, mi-organique, mi-minéral, se développe de manière exponentielle. Mais dès qu’il a recouvert toute la ville, sa croissance s’est stoppée. Durant une période de neuf mois, ‘le réseau de Robick’ est utilisé par tous, comme s’il avait toujours été là. Non seulement les populations des deux rives communiquent et échangent, malgré les interdictions, mais tous ont investis la structure, aménageant des transports en commun, des ascenseurs, construisant des logements… Devenu indispensable, imposant un nouvel équilibre social, à tel point que les autorités décident de reconstruire une nouvelle structure après que le réseau ait repris sa croissance jusqu’à disparaître dans l’espace.
Le réseau de Robick peut être vu comme une métaphore anticipée du réseau internet. La matérialisation d’un espace virtuel, permettant à des individus qui n’ont a priori aucun lien entre eux (géographique, social…) de communiquer et d’échanger. Un réseau modifiant les comportements sociaux de manière irrémédiable…
François Schuiten dessine admirablement les villes, les édifices, les monuments… Il semble d’ailleurs plus à l’aise avec la pierre qu’avec la chair. Ses personnages sont aussi massifs et rigides que ses monuments architecturaux. Un graphisme magistral, d’un noir et blanc maitrisé, à la hauteur du scénario de Benoît Peeters. La fièvre d’Urbicande, deuxième volet de la série Les Cités Obscures, est une œuvre majeure, au-delà même du 9ème art. Un conte philosophique qui aborde les thèmes universels du pouvoir, du beau, de l’organisation sociale, d’humanisme. A (re)lire absolument.
Bon ben je vais le re-lire : promis ! Je l’ai dans ma bibliothèque et j’avais oublié son synopsis : C’est dire !!
Dernière publication sur carnet à dessins : A l'écart du bonheur
Souvenir d’(A suivre) – et de Jean-Paul Mougin.