Je suis sensible au Dessin depuis toujours. Je ne saurai dire précisément quelles ont été les portes d’entrée à cet art, entre les livres illustrés de ma petite enfance, les illustrations des livres scolaires, les dessins humoristiques qui paraissaient dans Ici Paris ou France Dimanche, ou les anciens numéros du magazine Pif gadget qui appartenaient à mon père, que je dévorais sans savoir lire…
Par contre, je sais précisément quand je suis tombé dans le monde extraordinaire de la Bande Dessinée. C’était à l’occasion de mon huitième anniversaire, un cadeau offert par une de mes tantes. Il s’agissait de « On a marché sur la lune ». C’est le premier album de Tintin que j’ai découvert, et par là même le premier album de bande dessinée que j’ai possédé. Je n’en étais pas peu fier de ce superbe livre, grand et coloré, à la couverture solide et brillante. J’ai du l’exposer sur mon étagère pendant plusieurs semaines avant d’oser me plonger dedans. L’admirer me suffisait. Je m’imaginais des tas de choses rien qu’en scrutant la couverture. Comment en sont-ils arrivés là ? Qui donc Tintin montre-t-il du doigt à Haddock ? Rentrent-ils à la fusée ou partent-ils en expédition ? Toutes ces questions qui trouveront une réponse dans cet album. Sauf qu’au fil de la lecture, un autre mystère apparait : Que s’est-il passé dans Objectif Lune ? Saurons-nous comment est entré le méchant dans la fusée ?
Une couverture pleine d’énigmes… Et cette quatrième de couverture regroupant tous ces albums, vus comme autant de promesses à de passionnants voyages immobiles… Qui n’a jamais inventé des histoires rien qu’en les contemplant, ou établit d’improbables corrélations entre eux ? Il me les fallait tous…
Commencer par le deuxième volet de l’épisode lunaire ne parait pas très malin. C’est toutefois un formidable exercice pour développer ses facultés d’invention. On a souvent reproché à la bande dessinée de « crétiniser » la jeunesse dans la mesure où, comparé à la littérature, elle offrirait tout sur un plateau et ne favoriserait pas l’imagination de ses lecteurs. Et bien j’en ai fait l’expérience inverse, et je ne suis surement pas le seul. Lire un fragment d’histoire (dessinée ou non) oblige à une formidable gymnastique intellectuelle. L’humain ne supportant pas le vide, nous comblons par nous même les manques de l’histoire.
Hergé a lui-même eu toujours conscience de cette implication de ses lecteurs. Lorsqu’il éditait ses histoires dans les hebdomadaires et les quotidiens de l’époque, il jouait subtilement de l’art du strip, puis de la page, tenant ses lecteurs en haleine à chaque dernière case. Chacun se faisait son propre film avant de connaitre la suite de l’histoire. Art de l’ellipse et du fragment, la bande dessinée en général, et Tintin en particulier, est un formidable médium pour développer la créativité de ces êtres en construction que sont les enfants et préadolescents. Et les adultes aussi, bien évidemment. « Connaissez-vous un écrivain que vous avez lu à sept ans et que vous lisez encore à quarante, que vous avez vu, sans le lire, avant le langage, et que vous expliquez longuement dans le doute qu’il soit compris ? » (Michel Serres)
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