Baladi est actuellement l’un des auteurs qui pousse assez loin la réflexion sur les limites de la narration dessinée. Fidèle au principal enjeu de départ de l’Association – l’exploration du langage de la Bande Dessinée – Baladi poursuit ses expérimentations ludiques et accessibles, sur les potentialités narratives et surtout iconiques du médium. Il décortique les rouages de son vocabulaire et nous propose des réflexions justes et pertinentes sur la pratique (et la lecture) du dessin. Et par extension, sur la représentation de la réalité. Dessiner est un acte réel, pour un résultat (illustration, case, planche, album…) qui n’est qu’une copie du réel, possèdant malgré tout sa propre réalité…
Un dessin n’est qu’un agencement de traits organisés de manière à représenter un motif issu de la réalité (pour ce qui est de la figuration) ou de l’imagination (pour ce qui est de l’abstraction, du surréalisme, de l’onirisme…). Le tout suscitant des émotions, bien heureusement. La recherche du sens, d’une logique, détermine notre manière de lire un dessin. Un même agencement de traits peut représenter différentes choses. Par exemple, une case remplie de petits traits obliques symbolise la pluie, mais « on peut aussi dire que ce sont des petits traits » … C’est notre cerveau qui interprète les informations reçues et les organise, leur donnant du sens, toujours en lien avec notre bagage culturel, notre sensibilité, nos propres références, notre inconscient collectif… Baladi nous emmène donc sur ce terrain là, de manière subtile, et nous démontre les possibilités infinies de la représentation en deux dimensions.
Après une scène d’ouverture où ce dernier use d’effets d’optique pour nous faire ressentir ce que vivent les personnages (une spirale représente les effets nauséeux d’une route sinueuse et bosselée), Baladi se met en scène à la manière de Rod Serling, le créateur de la 4ème dimension et nous fait pénétrer dans l’univers étrange de la 2D. C’est la magie du dessin. Sur un support plat (la feuille) on peut représenter du volume, de la profondeur, grâce à la perspective, aux contrastes clairs-obscures, aux jeux d’ombres… Mais aussi réussie soit-elle, cette troisième dimension n’existe pas « réellement ». Un dessin ouvrira toujours sur un univers en deux dimensions (abscisses et ordonnées). Un paradoxe avec lequel s’amuse Baladi, lorsqu’il focalise sur les vêtements des deux sœurs et en arrive à faire dialoguer des horizontales (du pull de l’une) et des verticales (de la robe de l’autre). Il jongle constamment entre la pseudo-représentation de la 3D (les personnages ou la voiture sont en « relief ») et de la 2D pure (des traits, des gribouillis). Un minimalisme qui, poussé à l’extrême dans certains détails, se rapproche parfois de l’hyperréalisme (comme l’a aussi expérimenté Trondheim à plusieurs reprises..).
Baladi joue avec un double sens de lecture, entre le trait en lui-même, et ce qu’il représente. Il n’oublie pas pour autant qu’une bd, c’est aussi des situations, des personnages, des dialogues… C’est là la force et le génie de Baladi (qui maitrise ici parfaitement les contrastes noir et blanc), il ne se moque pas de ses lecteurs et ne cherche pas à nous embrouiller avec d’absconses expérimentations . Cette histoire de deux sœurs cherchant un raccourci qu’elles ne trouveront jamais (qui rappelle une autre série fantastique des années 60) sert de cadre à ses expérimentations. Et bien plus que ça encore. Cette aventure vécue par ces deux sœurs fait écho à notre propre expérience de lecteur : Ont-elles vu un vaisseau extra-terrestre, ou de simples traits dans le ciel ? Et nous, avons-nous lu une histoire dessinée, ou un savant agencement de traits ?
Entre représentation et signification, abstraction et figuration, Gribouillis est un concentré de tout cela. Le tout dans une simple Mimolette de 32 pages…
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