Mammuth est un road-movie inversé, où le héros ne fuit pas en avant, mais est obligé de s’aventurer vers son passé pour pouvoir envisager l’avenir sereinement. C’est parce qu’il lui manque des points pour sa retraite qu’un jeune sexagénaire doit retourner vers ses anciens employeurs pour obtenir des attestations lui permettant de comptabiliser un nombre suffisant de trimestres. Il recroise alors d’anciens collègues (il a été videur de boite, agriculteur…) ou des membres de sa famille perdus de vue depuis longtemps (une nièce, un oncle…). Cette quête vers ses points retraite lui permet, bien malgré lui, de revenir sur son passé, ses espoirs, ses échecs. Et surtout son grand amour, perdu à jamais tout comme l’innocence de sa jeunesse…
Dès qu’il enfouche sa Mammuth (une moto allemande comme on en fait plus), ses fantômes ressurgissent… Adjani est remarquable. Ils forment avec Depardieu un couple mytique du cinema français. Kervern et Delepine exploitent admirablement cette référence inscrite dans la mémoire des spectateurs. Depardieu est incroyable. Son meilleur rôle depuis (toujours?) longtemps, tant il arrive dès les première seconde (il a un côté Mickey Rourke dans The Wrestler), et ce jusqu’à la fin, à nous faire oublier qu’il est Depardieu. Un film avec Depardieu sans Depardieu en somme. Seul un acteur de ce qualibre peut réussir cette performance. Yolande Moreau est exceptionnelle, jouant avec cette sensibilité incroyable, boulversante. Son personnage est l’antithèse de celui (dés)incarné par Adjani : présente par son absence. Elle est le carburant du Mammuth, qui ne s’y trompe pas d’ailleurs puisqu’il y revient (la scène de retrouvailles est magnifique).
K et D on réalisé un film qui pourrait ressembler à une succession de sketchs un peu décousue (voir la scène avec Siné), une sorte d’exercice de style grolandais. Mais au contraire, l’histoire justifie ce « morcellement », illustrant le fait que Serge Pilardosse, alias Mammuth, a toujours cloisonné – comme pour s’en protéger – tout ces éléments de sa vie, qu’il semble avoir toujours subit, sans pouvoir les maitriser. Les dialogues sont savoureux, les situations sulfureuses, et si les gags cons et répliques fulgurantes sont calibrés « humour Groland » (« y aura toujours un bidon d’huile pour toi mon Mammuth » !), K et D ne s’égarent jamais et restent jusqu’au bout au service de leur histoire. La dimension politique est présente, comme toujours avec Kervern et Delépine, sauf que cette fois-ci, le discours est en filigrane, plus diffus…
Comme ils nous l’expliquent dans l’interview pour Siné Hebdo, le film est réalisé en 16 millimètres (ils ont récupéré des bandes servant pour les reportages télévisés des années 70) avec cette particularité de ne pas avoir de négatif. Le travail de montage s’en trouve bien différent. Ils utilisent aussi du 8 millimètres pour représenter la vision du fantôme Adjani. D’ailleurs, cette dernière a elle-même filmé ces plan en super 8. Le grain particulier des images, la lumière naturelle et les couleurs un peu « passées », développent une esthétique originale – et plutôt inédite pour un long métrage – qui créée une proximité, une intimité avec les protagonistes. Kervern et Délépine nous confirment ici qu’ils sont de grand sentimentaux, au sens noble du terme. Ils aiment leurs personnages. De par sa réalisation et son jeu d’acteurs, Mammuth est un film directe, authentique, bouleversant, qui ne mérite que des superlatifs !
Bravo pour l’ensemble de votre blog… Je suis arrivé sur vos pages par hasard, mais j’y suis resté, retenu par la qualité de vos articles… Vos centres d’intérêts et votre curiosité ressemblent aux miens et si nombre des ouvrages évoqués ne me sont pas inconnus je dois reconnaitre avoir relevé quelques bouquins et quelques pistes inédits pour moi… Je les explorerai tout à loisirs…
Je reviendrai… Bien à vous…
Soluto
Merci Soluto ! Ca fait toujours plaisir de savoir mes articles appréciés !
Tes dessins sont superbes, j’aime beaucoup ton trait. Je ne manquerais pas d’aller visiter ton site régulièrement !
A bientôt donc…