Cavanna est un homme de Lettres. Avec un grand l. Mais il n’est pas, bien heureusement, l’un de ces littéraires sous formol, de ces gardiens du temple de la bonne expression écrite. Avec lui -et grâce à lui- la langue écrite est organique (et orgasmique !). Elle vit, respire,exulte… En un mot, elle parle ! Avec toutes les approximations et les soi-disant fautes de l’oralité (l’oubli de négation par exemple). C’est un spécialiste pour ce qui est de retranscrire les accents étrangers, qu’on ne comprend pas plus par écrit que si on les entendais (je n’ai que rarement capté ce que son père pouvait raconter…). Son écriture retranscrit au plus juste les mécanismes de sa pensée. Comme s’il n’y avait pas de perdition entre ce qui part de son cerveau et ce qui arrive sur le papier. Une écriture en direct. Il est aussi un maniaque de la ponctuation… C’est en ces quelques mots que je décrirais le « style Cavanna ». Un style qui peut en réconcilier plus d’un avec la Littérature. Avec un grand l…
Dessin de Cavanna
Cavanna est un homme d’images. Fan d’illustrés depuis sa tendre enfance, il s’est établi comme dessinateur durant les années 50, sous le pseudo de Sépia. C’est en cherchant à placer ses dessins dans divers journaux de l’époque qu’il rencontre Fred, avec lequel, ainsi qu’un certain Bernier, ils créeront Hara-kiri en 1960. Et bien qu’il ait rapidement laissé ses crayons pour la plume, d’une part car il y a beaucoup de bon dessinateur sur le marché, meilleurs que lui dira-t-il, et d’autre part car il était le seul à pouvoir (et vouloir) assumer la fonction de rédacteur. Fonction essentielle pour créer un journal. Cavanna est celui qui recrute les dessinateurs, ceux qui deviendront les acteurs du renouveau du dessin de presse, parmi lesquels Wolinski ou Reiser. Au même titre que Goscinny dans Pilote, Cavanna a le génie de percevoir les grands talents en gestation et les aider à croire en eux, à se surpasser. Peut-être car se sont tout deux d’anciens dessinateurs qui n’ont pas eu cette chance…
Son Œuvre se distingue par la richesse des genres abordés. L’autobiographie, le roman historique, la parodie, l’essai, la chronique, le billet d’humeur, l’éditorial. Sans oublier l’illustration (pour l’Aurore de l’Humanité) et la traduction de comics (Li’l Abner, Max and Moritz pour Charlie Mensuel ou plus récemment, Je ne suis pas n’importe qui de Jules Feiffer… Sa bibliographie ne compte pas moins d’une soixante-dizaine d’ouvrage, depuis 1978…
Les complices…
J’ai pour ma part commencé par Les Ritals, dans lequel il nous raconte son enfance heureuse avec ses parents. Fils unique d’un père italien et d’une mère nivernaise, il décrit tout en finesse les conditions de vie des immigrés de Nogent-sur-Marne, « la petite Italie ». J’ai ensuite logiquement enchainé sur Les Russkoffs, que j’ai dévoré d’une traite. C’est un témoignage unique sur la seconde guerre mondiale, vécu de l’intérieur par un jeune adolescent se retrouvant travailleur forcé à Berlin pour la STO. Son style convient à merveille pour retranscrire ses impressions de jeune homme qui, bien que confronté à l’horreur de la guerre, concerve une forme de crédulité, comme un moyen de défense. Cette écriture vivante et fraiche lui permet de tout raconter de façon authentique, sans pathos. Comme si on y était, avec lui… Les Russkoffs, c’est aussi une boulversante histoire d’amour qui, comme dans les grands classiques, bascule dans la tragédie.
Vite devenu accro à cette prose, il m’en faut plus encore. Heureusement, dès qu’il a commencé à écrire des livres, il ne s’est plus arrêté ! J’ai enchainé sur Bête et Méchant, dans lequel il raconte comme personne, une fois encore de l’intérieur, la formidable aventure de la création d’Hara-Kiri. Une mine d’information et d’émotion unique. Un récit à la hauteur du sujet : Épique ! S’en suit Les yeux plus gros que le ventre, Maria, Et le singe devint con, De Coluche à Mitterrand (53 chroniques de Charlie Hebdo), La grande encyclopédie bête et méchante… Doses à venir : L’Œil du lapin, Lettre ouverte aux culs bénits, Maman, au secours ! (illustré par Altan), Les aventures de Napoléon, La Déesse mère…
Avec l’ami Fred…
Dès que je chine un livre de Cavanna, je le prends, sans réfléchir… J’aurai bien le temps de les lire. Et toujours l’envie, c’est clair. Bref, j’aime ce mec… « Seule la virulence de mon hétérosexualité m’a empêché à ce jour de demander Cavanna en mariage. » (Pierre Desproges)
Auto-Cavanna
Bonsoir,
Qui saura m’indiquer dans quel ouvrage de Cavanna retrouver un texte de 1965 ou 1966 intitulé « Défense et illustration du con ». Je l’avais dactylographié à l’époque, mais il y a beau temps qu’on ne me l’a jamais rendu! Merci d’avance!
Salut à toi !
Alors, je suis loin de connaitre tous les textes du grand Cavanna, celui-ci en particulier. Mais aux vues de la date que tu m’indiques, Cavanna n’a écrit qu’un seul livre durant ces années : le fameux « 4, rue Choron ». Peut-être que ce texte en est tiré, ou bien s’agit-il d’une des nombreuses chroniques (ou édito) qu’il a écrit pour « Hara-Kiri »?..
Désolé de ne pouvoir t’éclairer plus…
A bientôt.
Bon, j’ai retrouvé la trace de ce texte ! “Défense et illustration du con” était bien publié à l’époque dans Hara-kiri. On peut le trouver dans l’anthologie « Cavanna : Cavanna », dans la collection « Humour secret » chez Juillard (1968) et en 10/18 (daté de 1971, version que j’ai dégoté !)
Un texte commençant par ce célèbre aphorisme : « Il ne suffit pas d’être con, il faut être fier de l’être. » A méditer…
Le 10×18 se nommait « Cavanna », couverture violette avec un joli globe terrestre en forme de postérieur dessiné par l’auteur, si je ne m’abuse.
A propos du livre « Bête et méchant », le plus surprenant est la critique qui en a été faire par « Minute », hebdomadaire où l’on n’appréciait clairement guère « Charlie Hebdo », mais où « Hara-Kiri » avait laissé apparemment un bon souvenir. Et contrairement à ce qu’on aurait pu croire – car j’ai lu l’article, j’allais chez le coiffeur à l’époque – le livre faisait l’objet d’une critique très favorable qui se terminait par quelque chose comme : « Il faut lire ce livre écrit par un homme intelligent et bon ». Ont-ils voulu le vexer ???
C’est bien le livre que tu décris, Paganel.
Pour ce qui est de la chronique favorable de « Minute » (que je n’ai pas lu – je vais pourtant aussi chez le coiffeur !), je pense en effet que c’était une provocation de leur part. Après dire de Cavanna qu’il est « un homme intelligent et bon », n’est pas faux je pense, même si je ne connais pas personnellement. On a vu bien pire comme provocation de la part de ce torchon d’extrême droite.
On a souvent reproché à Choron d’être un « anar de droite », voire un facho. C’est vrai qu’au sein d’Hara-Kiri, il avait des attitudes et positionnements souvent extrêmes (ce qui plaisait surement à certains connards de la droite puante), mais aurait-il pu travailler avec cette bande de « gaucho-anarcho-écolo-humanistes » présents dans les rédactions d’Hara-kiri et de Charlie s’il avait été d’extrême droite ? Aurait-il pu être ami avec Cavanna ? Je ne le pense pas.
Le texte de « Défense et illustration du con » figure dans l’un des trois volumes regroupés sous le titre « Je l’ai pas lu, je l’ai pas lu, mais j’en ai entendu causer », parus chez 10/18. Il reste à espérer que c’est toujours disponible.