On peut se demander quel est intérêt de contempler des planches sorties de leur contexte. Une planche est-elle une œuvre d’art à part entière ? Quand on se trouve devant un original de McCay, Forest, Breccia, Druillet, Giraud ou Gerner, la question ne se pose plus. On ressent exactement la même impression que lorsqu’on est devant une toile de grand maitre : on est à proximité de l’artiste, on sent son geste, sa trace, sa présence. C’est un sentiment magique, unique.
La Maison Rouge (que je découvre à l’occasion) est le lieu idéal pour ce type d’exposition, vaste, mais à échelle humaine. Disposée de façon labyrinthique, le parcours est composé de plusieurs petites pièces abordant un thème particulier : Les pionniers de la BD, avec des planches d’Alain St Ogan, Richard Outcault, Winsor McCay ou Georges Herriman. Far West, comprenant essentiellement des planches de Giraud, ainsi que de son maitre Jijé et aussi Morris. Bestioles et créatures, avec Macherot, Crumb (et son Fritz the cat), Otto Messmer (et son Felix the cat), Schultz (et son Snoopy), Franquin et son Marsupilami, Peyo et ses Schtroumpfs, Mandryka et son concombre masqué ou Geluck et son chat. Sans oublier la Walt Disney Productions avec le génial Carl Barks (« l’homme au canards » qui aurait dessiné plus de 6000 planches de BD).
S’en suit Hergé et la ligne claire où j’ai enfin pu observer des planches originales du Maître, ainsi que de ses amis Jacob, Martin et De Moor, sans oublier la relève avec Ted Benoit ou Joost Swarte. Mangas avec la présence du père d’Astro Boy, Osamu Tesuka, sans oublier Miyazaki (avec Princesse Mononoké). Puis, retour en Occident avec les Maitres de la S.F : les américains Clarence Gay ou Ales Raymond et les français Poïvet, Gillon, Forest, Druillet, Moebius ou Bilal. Epoustouflant ! Gags à Gogo et Gredins et chenapans nous présente des planches humoristiques de Chic Young, Segar (Popeye), Dirks (the Kratzenjammers kids), mais aussi St Ogan ou Franquin. Pictural nous propose des auteurs privilégiant les pinceaux (noir & blanc ou en couleur) tels Caniff, Breccia, Tardi, Hugo Pratt, Comès… A fond la caisse avec Hubinon, Jean Graton ou Boucq. La rencontre des héros et Super-héros se situent dans deux grandes salles dans lesquels bon nombres d’artistes contemporains revisitent les mythes de la BD, essentiellement issus des mangas et des comics (ah, le Batman obèse qui surplombe la salle, effrayant !) Puis pour finir, l’Enfer, situé dans une salle en sous-sol, dresse un petit panorama de la BD érotique avec Crumb, Pichard & Wolinski (avec leur Paulette), Forest (et son Barbarella), Guido Crepax, Manara ou Vuillemin…
Cette expo nous permet de découvrir les coulisses de la création d’une planche de bande dessinée. On observe des différences de méthodes entre les auteurs. Différence de format d’abord, car si la plupart dessine sur de grandes feuilles qui seront réduite pour l’impression, d’autres dessinent au même format que la future édition en album. Au niveau de la mise en page, on voit bien que certains dessinent les cases individuellement, puis les assemblent pour composer leurs planches, tels que McCay, Gotlib ou Bilal… D’autres par contres, préparent leur structure à l’avance et dessinent minutieusement dans les cases (Hergé, Moebius …). Les américains eux, dessinent sur des planches pré-formatés pour l’imprimerie (Alex Raymond ou Joe Schuster). Différence de techniques entre une majorité de noir et blanc (dont de nombreux maitres, Forest, Eisner, Milton Caniff…) et les adeptes de la couleur directe (Mattoti, Breccia, de Crecy ou Liberatore…)
Gilles Barbier, L’hospice, 2002
L’originalité de cette exposition est de confronter ses planches originales de grands dessinateurs aux regards que peuvent y porter des artistes contemporains. Car les frontières entre ces deux univers sont de moins en moins hermétiques, de plus en plus « poreuses ». Des peintres tels qu’Authouart ou Di Rosa ont toujours cité la Bande Dessinée comme une influence majeure. On découvre également des strips de Picasso (années 30) qui était un inconditionnel du Krazy Kat d’Herriman. Picasso lui-même aurait dit qu’un de ses seuls regrets est de ne pas avoir fait de bande dessinée… Art Lichtenstein, Keith Haring et Jean-michel Basquiat rendent également leur tribu à la BD.
TNT en Amérique, Jochen Gerner
Le parcours commence avec l’intégrale des planches du TNT en Amérique de Jochen Gerner. Un auteur qui créé la parfaite jonction entre Art Contemporain et « petits mickeys ». Ses planches sont remarquables. Il a développé ce qu’ont pourrait appeler la « narration séquentielle non-figurative ».
Ponctuant le parcours de l’exposition, des couples se forment entre les personnages de BD et leur réinterprétation dans des œuvres contemporaines : la lime cachée dans le pain des Dalton par Olivier Babin, little Nemo dans son lit par Peter Land, le tempérament bagarreur de Popeye par Jean-Michel Basquiat, la famille Flintstones par Paul McCarthy, la silhouette de Tintin par Henrik Samuelsson. Ce dernier apparaît également dans la peinture murale de Fabien Verschaere… (Guide de l’expo)
Wang Du, Vous avez du feu, 2002
Pour rester dans le jeu du name-dropping, n’oublions pas de citer encore Pierre la Police, Lewis Trondheim, Toriyama (l’inventeur des Dragon Balls), Willy Vandersteen, Loustal, Charles Burns… Une expo remarquable qui fait la part belle aux pièces de collection sans pour autant sentir le vieux papier. Et ceci grâce à la présence de ces œuvres contemporaines qui apportent une résonnance particulière aux vielles planches de bd, et corroborent l’idée principale de cette exposition : les frontières entre Art et BD n’existent pas !
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