Black Hole, où l’art de raconter le malaise de l’adolescence en évitant tout les écueils et clichés habituellement rattachés à ce thème.
L’histoire ne s’attache pas à décrire l’existence d’un seul personnage auquel on pourrait s’identifier facilement, mais à tout un groupe de jeunes (dont les deux principaux narrateurs : Chris et Keith). Ce qui nous évite d’entrer en empathie et permet d’installer une distance nécessaire pour supporter ces ambiances malsaines… Mais le fait que Burns nous décrive la vie de plusieurs ado permet malgré tout l’identification aux personnages car en fonction de nos sensibilités et de nos vécus, on se reconnait au moins dans l’un (ou plusieurs) des protagonistes.
Ce malaise ambiant, qui transparait tout au long de la lecture de Black Hole, tient à plusieurs choses…
Tout d’abord, cette histoire de mutation – parabole sur la transformation du corps et la découverte de la sexualité…
Cette « crève » qui se transmet sexuellement nous fait bien évidemment songer au virus du Sida. Sauf que les symptômes sont différents pour chacun des individus (du petit signe inaperçu aux malformations les plus visibles). Tous développent un rapport unique à sa mutation (certains l’acceptent plus ou moins bien, d’autres pas du tout). Même s’ils subissent tous plus ou moins la même chose, ils ne le vivent pas de la même façon. Le pire est qu’ils sont dans l’incapacité d’échanger, de partager leurs souffrances. Pour certain, cette solitude est insoutenable…
Sondeur des tourments les plus noirs, Burns sait parfaitement retranscrire nos angoisses et nos pulsions les plus refoulés. Comme dans cette scène associant pulsions sexuelles et angoisse de morcellement, qui symbolise la peur de l’abandon de soi…
Ou celle-ci qui décrit parfaitement l’angoisse de perte d’identité (devoir « changer de peau » pour devenir adulte)…
Cette histoire de « peste ado » symbolise la perte de l’innocence, de l’enfance. Elle va à l’encontre de la bonne morale chrétienne qui prône la pureté et la virginité. Devenir adulte, c’est aussi se confronter à ça…
Le contraste entre l’aspect exceptionnel, irrationnel de ces mutations et la banalité du milieu étudiant américain des années 70 créé un décalage qui persiste tout au long de l’histoire. Et on ne sait pas, dans le fond, ce qui est le plus effrayant…
Le graphisme tout en rondeur, presque de style humoristique détonne face à ce noir et blanc dur, tranchant, expressionniste… Les mises en pages sont d’une grande maitrise. Elles illustrent parfaitement les effets des drogues, les malaises mentaux que ressentent les protagonistes… (La scène d’ouverture quand Keith s’évanoui est remarquable…)
Oui, il se dégage quelque chose d’insidieusement malsain dans le graphisme de Burns.
Enfin, la narration… Burns joue ici avec le temps. Il le raccourci ou l’étire en usant des ellipses entre deux scènes ou en nous décrivant la même scène de différents point de vue. Il utilise régulièrement les « flash-back » …
Cette altération dans la chronologie des faits illustre assez bien le rapport ambigu au temps, que vivent généralement tous les jeunes : sentiment d’être immortel, vivre au jour le jour, confusion face aux événements passés, projections dans l’avenir difficiles…
Black Hole est une œuvre unique, remarquable, subtile, qui ne peut nous laisser indifférent. Car nous avons tous été ado au moins une fois dans notre vie.
Brillante analyse de ce classique qu’il faut que je relise dans un futur proche. Je ne l’ai lu qu’une fois mais j’ai eu beaucoup de mal même si je ne sais pas exactement ce qui m’a dérangé le sentiment de malaise était fort. Mais bon, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage comme disait Molière ou Zidane ou Patrick Sébastien…
Merci Chris,
Ton sentiment de malaise est justifié, dans la mesure où c’est ce que recherchait Burns. Et il est assez rare d’être dérangé à ce point à la lecture d’une bande dessinée. Comme quoi la puissance d’évocation du médium n’est plus à démontrer.
Après, oui, tout comme Patrick Sébastien, je te conseille de réessayer de le lire. C’est une œuvre importante…