Tout comme pour Connan Mockasin, je me rappelle avoir découvert Harlem River de Kevin Morby au moment de sa sortie en 2013. J’ai bien aimé le morceau (quoique un peu long) mais pas apprécié le reste de ce premier album au titre éponyme. Trop « américain-country » à mon goût. Etant depuis passé à autre chose, c’est en voyant la programmation du Rush festival de Rouen de cette année que Kevin Morby s’est rappelé à mon bon souvenir. L’opportunité d’aller voir un bon auteur-compositeur-interprète indépendant se faisant rare, je me jette sur l’occasion et redécouvre un artiste pour le moins prolixe, qui depuis son premier opus a enchainé les albums à un rythme soutenu. Ses deux derniers en date sont de très bons crus et nous démontre que le garçon évolue sans se répéter ou chercher à reproduire la magie des débuts.
Car oui, Harlem River est un album magique, habité, dont l’orchestration dégage un léger parfum de sorcellerie cajun. Le morceau phare Harlem River n’est qu’une longue transe qui nous ballotte au gré des courants de cette rivière mystique. Un shuffle constant qui borde la sinuosité de la rythmique, une basse qui joue à champ/hors-champ, une guitare souvent présente de par son absence. Et ce chant tout en contraste clair-obscur, tantôt retenu, tantôt lâché… Une déclaration d’amour et d’envoutement au détroit de New-York… If You Leave, And If You Marry est une folksong remarquable (avec picking acoustique et chant enlevé), référencée, mais pour autant très originale. On se dit que le garçon a vraiment du talent. Il revisite plus qu’il ne renouvelle un genre pourtant très balisé.
« Americana » est le maitre mot de ce coup d’essai. Morby révise son folklore US et convoque les figures tutélaires de Bob Dylan et Neil Young. Mais malgré ces références évidentes, Morby possède une vraie personnalité et un sens de la composition remarquable. Tout en respectant le format imposé de la chanson, il sait y injecter une modernité par l’emploi de figures répétitives, d’ambiances minimalistes et de ruptures de rythmes qui nous fait dire que cet album et bien de notre temps. Rien de passéiste ou de poseur chez Morby, mais une vraie authenticité et un amour inconditionnel pour la musique Folk…
Avec ses deux derniers albums, This is a Photograph et More Photographs (A Continuum), Morby lorgne vers les figures du blues et gratte même jusqu’à l’os du Gospel. Ouvrant son album de famille, Kevin nous parle de son père, sa mère, sa sœur, son enfance… Il s’en dégage une vraie proximité affective, inscrivant ses chansons dans une réalité géographique précise (Bettersweet Tennessee, Mississipi, Memphis…) et cite des références qui nous parlent : Jeff Buckley, River Phoenix ou Tina Turner… Et malgré la mélancolie qui se dégage de ses textes (goodbye the good times, kingdom of broken hearts…), les mélodies sont toujours paisibles, les arrangements chaleureux (violon, pedal steel…). Le contraste entre cette impression de minimalisme des mélodies et la richesse harmonique des arrangements est saisissant et m’évoque la démarche des canadiens de Timber Timbre sur leur Hot Dreams.
Voir Kevin Morby sur scène avec ses musiciens (tous accomplis et heureux d’être là) m’a permis de prendre la pleine mesure du talent du garçon. Une orchestration riche et variée (deux guitares, basse, batterie, clavier, violon et voie féminine, flute traversière et saxo…) qui met admirablement en valeur ses compositions. Et cette voix médium ! Posée, « facile », qui peut s’aventurer dans un large spectre de tessitures, sans jamais tomber dans les extrêmes. Morby devrait être prescris, tant il met du baume sur les bleus de l’âme…
Rush festival – 106
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